Race[s] : mieux qu’un réquisitoire, une déconstruction!

— Par Roland Sabra —

« Nos paroles nous engagent…
nous devons leur être fidèles.
Mal nommer un objet,
c’est ajouter au malheur de ce monde. »
Albert Camus

« Sacco & Vanzetti » en 2014, « Résister c’est exister » en 2015, François Bourcier est un habitué du Théâtre Aimé Césaire (T.A.C). Il revient cette année avec un « travail en cours » permanent puisque créé en 2012 et sans cesse mis à jour. Race|s] avec la lettre S mise en parenthèses est déjà dans la graphie du titre un questionnement si ce n’est un engagement politique. Accepter le pluriel du mot c’est croire à l’existence d’une pluralité que la réalité scientifique dément. L’espèce humaine est homogène 99,9 %. Et la tendance se confirme, s’accélère comme le remarque Bertrand Jordan, célèbre biologiste moléculaire : « La mondialisation des migrations et des unions va estomper les contours biologiques entre groupes humains.»

Comédien, metteur en scène, François Bourcier est avant tout un humaniste engagé avec fougue et sincérité dans un combat antiraciste sans fin, hélas, et d’une actualité suffisamment exacerbée pour qu’elle renvoie, inévitablement, même si comparaison n’est pas raison, au climat des années trente du siècle dernier. Quels ont été, ou quels sont les grands inspirateurs du nazisme ? Le présent de l’indicatif est d’actualité. Pour autant le racisme, mot inventé en 1902 et qui n’apparaît dans le Larousse qu’en 1946, est-il au fondement même de la culture occidentale? C’est ce que semble vouloir démontrer Fançois Bourcier en trois mouvements.

Il cite d’abord les philosophes de l’Antiquité. Aristote recommande “qu’une loi défende d’élever aucun enfant difforme. Et dans les cas d’accroissement excessif des naissances, une limite numérique doit dès lors être fixée à la procréation, et si des couples deviennent féconds au-delà de la limite légale, l’avortement sera pratiqué avant que vie et sensibilité surviennent dans l’embryon”. Sénèque estime que “noyer les enfants à la naissance est un acte ordinaire et raisonnable”. Tacite considère comme un acte “sinistre et grossier” l’usage chez les juifs d’interdire de tuer un de leurs enfants après le premier-né. Eugénisme et racisme sont posés comme des termes équivalents. Il est d’autres propos, d’une autre tonalité, eux aussi venus de l’Antiquité. Platon attribuait l’invention de l’écriture à un Dieu égyptien. Hérodote, le « Père de l’histoire », grand admirateur des peuples noirs d’Éthiopie, écrivait : « Les hommes y sont les plus grands, les plus beaux et y vivent plus longtemps ». Cicéron déclarait : « Les hommes diffèrent par leur savoir, mais ils sont tous égaux pour leur aptitude au savoir. Il n’est pas de race qui, guidée par la raison, ne puisse parvenir à la vertu »., L’esclavagisme (antique), terme que François Bourcier utilise pour nommer ce premier temps de la démonstration, n’était pas réservé à une ethnie particulière : la majeure partie des esclaves étaient eux-mêmes des Grecs, et on trouvait des hommes de toutes les couleurs et origines parmi les esclaves. De même les mots antijudaïsme et antisémitisme sont confondus et utilisés l’un pour l’autre, alors que si l’antijudaïsme est constitutif de l’invention du christianisme, on ne se pose qu’en s’opposant, l’antisémitisme est un terme tardif, fin du 19e siècle, produit du scientisme de l’époque.

La seconde partie s’articule autour de la pensée de Darwin et des falsifications dont elle a été l’objet, comme le précise, par précaution François Bourcier. Elle pourrait se nommer « Capitalisme et rationalisation de préjugés culturels ». C’est la partie, un peu brouillonne, dans laquelle la contextualisation, malgré les changements de costumes qui prétendent la signifier, est la plus faible. Aux citations des auteurs du 18e siècle, imprégnés de l’esprit des Lumières, mais assujettis à des sciences encore à peine écloses, vont venir s’ajouter des extraits de penseurs de la révolution industrielle sur les conceptions du mondes corrélatives. Une improbable conférence à trois, quelque peu confuse est simulée et pas très réussie. Par contre le metteur en scène met en évidence avec justesse l’émergence d’une criminalisation de la pauvreté. Gobineau a toute sa place dans cette construction idéologique.

Les écrits du diplomate, écrivain et homme politique français font de transition pour le troisième temps de la démonstration qui est sans hésitation le plus politique de la représentation:l’avènement de l’antisémitisme au 20e siècle et la mise en place de la « solution finale ». Un long passage de « L’internationale juive » du constructeur automobile Henri Ford est utilisé, comme des déclarations de politiciens de la Troisième République incitant au gazage de populations à éliminer ! Et François Bourcier de rappeler implicitement sans en faire la citation que « Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde. ». De récentes de déclarations de personnages politiques tout à fait actuels, au Brésil, aux États-Unis, en Europe, viennent en témoigner sur l’écran en fond de scène.

On l’a dit Bourcier est un humaniste il termine son spectacle par un extrait du célèbre discours de Luther King « J’ai un rêve » dans lequel sont évoqués les trois thèmes de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité. Bel hommage à l’universalisme. On notera enfin les belles respirations, bienvenues, provoquées par les poèmes d ‘Anne de Commines,

Infatigable François Bourcier après le spectacle engage des échanges avec le public, revient sur les textes, explique, précise. Et les spectateurs qui s’attardent, fascinés par ce diable d’homme, lui disent leur reconnaissance.

Fort-de-France, le 18/01/2019

R.S.