Race(s) de François Bourcier : salutaire !

— Par Selim Lander —

Paradoxe. Alors que les savants nous expliquent par A + B que les races – blanc, noir, jaune, rouge – n’existent pas, qu’il n’y a qu’une espèce humaine, voici que, dans notre France, pays des Lumières, s’éveille un communautarisme plutôt nauséabond. Au nom de la défense des minorités qui seraient insuffisamment reconnues – et sans doute ne le sont-elles pas autant qu’il conviendrait : qui a dit que nous sommes dans un monde idéal ? – un mouvement prend de l’ampleur qui veut faire entendre la voix des individus « racisés » (sic) ou « racialisés » (re-sic). Ainsi apprend-on qu’une guerre s’est déclenchée au sein des départements de sciences humaines de nos universités entre les universalistes qui s’en tiennent aux déclarations universelles des droits de l’homme et ne veulent reconnaître aucune différence « raciale » et les décoloniaux (re-re-sic) qui tirent argument du passé colonial de notre pays pour sommer les institutions de « réparer », c’est-à-dire de céder à toutes leurs revendications. Foin de la laïcité qui ne serait, selon certains, qu’une figure de l’islamophobie. Foin de l’émancipation de la femme et vive le voile « librement » choisi (mais voyons !) par celle qui le porte (re-re-re-sic). Organisation de conférences interdites aux « Blancs », etc. jusqu’à plus soif. Évidemment, derrière tout cela, un certain islam combattant pointe toujours son nez. Vous avez dit laïcité ?

Tout ceci pour dire qu’il faut se précipiter au spectacle concocté par François Bourcier dont les Martiniquais, après bien d’autres, ont pu admirer Résister c’est exister[i], dans la même forme, soit un comédien qui endosse successivement plusieurs personnages. Si ses transformations s’avèrent, ici, un peu moins spectaculaires que dans la pièce précédente, le discours est tout aussi éloquent. Les accessoires destinés à distinguer les personnages entre eux sont dissimulés derrière la chaire du maître (le spectacle pouvant être donné dans un amphithéâtre universitaire) ou dans les coulisses. François Bourcier virevolte comme il sait le faire entre les personnages historiques auxquels il prête sa voix, persuadés, sans autre preuve que leur aveuglement, de la supériorité de la race blanche sur toutes les autres.

Cela étant, les textes dits par F. Bourcier (qu’il a lui-même sélectionnés : on imagine la somme de travail, vu l’ampleur du corpus) montrent que l’idéologie inégalitaire ne date pas d’hier, qu’elle n’a pas eu besoin pour éclore du constat des différences de couleur de peau. Ni Platon, ni Malthus, par exemple, cités dans le spectacle, ne pensaient aux Noirs (ces étranges étrangers) pour décréter des hiérarchies soi-disant naturelles entre les humains. Quant à Brocca, il croyait démontrer grâce à son « anthropologie crânienne » une supériorité (intellectuelle) indubitable de l’homme sur la femme. Par contre, lui s’est également intéressé aux différences entre les Blancs et les Noirs. Il reconnaissait à ces derniers une certaine vertu guerrière due à la forme particulière de leur crane, ajoutant néanmoins que ce « courage occipital » n’avait rien à voir avec le « vrai » courage, celui des Blancs évidemment… Après l’idéologie pure, l’idéologie tente de se cacher derrière la (fausse) science.

Perruqué ou coiffé d’une casquette d’officier nazi, couvert d’un manteau ou d’une toge professorale, F. Bourcier adapte constamment son apparence au personnage qu’il interprète. Particulièrement glaçant le moment où il se cache derrière le heaume d’une blancheur immaculée du Ku Klux Klan.

Race(s) fait défiler jusqu’à l’écœurement les aberrations de la raison (?) humaine, comme chez ce digne professeur polonais qui expliquait par un « syngénisme » imaginaire la perpétuation inéluctable de la domination d’une certaine race (la sienne). Dommage qu’il ne soit plus là pour assister à l’installation de la nouvelle hégémonie chinoise !

Toutes ces élucubrations pourraient porter à rire n’étaient les conséquences : lynchage, stérilisations de masse, extermination pure et simple de millions d’individus au nom d’un délire raciste. Au cas où nous aurions la mémoire courte, cette réalité – qui est la nôtre – nous est rappelée à l’aide de quelques chiffres ou des images d’archive sur l’écran en fond de scène. Des images qui montrent également des défilés des mouvements d’extrême droite qui relèvent partout la tête, en Europe. Les trois poèmes d’Anne de Commines qui s’intercalent dans ce cortège sinistre et le discours fameux de Martin Luther King in fine ne détendent pas vraiment l’atmosphère.

Il est vrai que cette conférence spectacle ne tend pas à nous divertir mais à nous avertir. Ainsi les décoloniaux et autres défenseurs des personnes « racisées » feraient-ils mieux d’y réfléchir à deux fois avant d’ouvrir la boite de Pandore du racisme.

Théâtre municipal, Fort-de-France, les 17, 18 et19 janvier 2019.

 

[i]