Quatre histoires, quatre comédiens, quatre monologues

Une autre histoire ou le malentendu de Julius-Amédée Laou

— Par Selim Lander —

Avouons notre désarroi face à cette pièce de Julius-Amédée Laou, auteur chevronné à en croire le programme de Tropiques-Atrium. Un thème qui ne peut que susciter l’empathie, une construction originale, des comédiens aguerris : toutes les conditions du succès sont a priori réunies. Il faut croire qu’une mauvaise fée jalouse a soufflé sur ce spectacle car il nous a paru surtout ennuyeux. Le texte, certes, aborde un sujet essentiel, celui de la conquête des Amériques, de la traite et de l’esclavage, mais nous avons quand même le droit de remarquer à cet égard que, à force de lui faire boire la même eau, le public martiniquais finit par n’avoir plus soif. S’il n’est pas faux de le considérer a priori réceptif lorsqu’on lui présente une histoire qui fut celle de ses ancêtres pas si lointains, il vient quand même un moment où il a envie d’autre chose. Ou alors le texte et la mise en scène doivent être suffisamment puissants pour faire passer ce qu’il a déjà si souvent entendu. Or le texte, ici, pose problème.

Construction originale, avons-nous écrit. En effet, ce n’est pas tous les jours que nous est présentée une pièce avec quatre personnages portés par autant de comédiens qui réussissent à ne jamais dialoguer. Ils racontent tour à tour leur histoire et nous assistons donc à quatre monologues successifs : celui d’une indienne (qui pourrait être taïno ?) qui voit débarquer les féroces Caraïbes anthropophages avant les Européens sales et puants ; celui d’un marrane qui s’embarque pour les Amériques lorsque les juifs sont expulsés d’Espagne ; celui d’une négresse d’habitation qui assiste à un coup de sang de son maître dont la blanche épouse à fauté avec un esclave noir ; enfin celui d’un maître forgeron de l’empire du Mali, un noble nous dit-on, qui est réduit en esclavage et expédié aux Amériques. Pas vraiment de lien entre ces histoires sinon la présence d’un bébé coincé sous le cadavre sanguinolent de sa mère dans les épisodes 2 et 3. Nous n’avons rien contre les monologues, pourvu qu’ils tiennent les spectateurs en haleine. Or ce n’est pas le cas ici où ils semblent s’étirer indéfiniment.

Il est vrai qu’avec une heure trois quart la pièce dure plus longtemps qu’à l’ordinaire mais le problème tient plutôt à l’écriture. L’auteur ne nous passe aucun détail et fait parler ses personnages dans une langue qui ne varie guère de l’un à l’autre et reste presque toujours sur le registre de l’écrit. Pour ne citer qu’un seul exemple, le forgeron qui défend la thèse de Cheikh Anta Diop selon lequel la science serait d’origine nègre, a des expressions comme celle-ci : « les lumières que nous avons contribué à allumer » (sic), formule pour le moins improbable dans la bouche d’un tel personnage, qu’il soit noble ou pas.

Sans doute les comédiens se réjouissaient-il à l’idée de jouer une pièce qui leur offre à chacun la possibilité de tenir seuls le plateau pendant une vingtaine de minutes ou plus (leurs camarades tenant alors le rôle de figurants muets). Il est moins sûr qu’ils aient autant apprécié de passer à l’acte. Ils avaient beau s’évertuer, ils ne parvenaient pas en effet, à nos yeux du moins, à incarner vraiment leur personnage ; la faute au texte selon nous, nous avons dit pourquoi.

Une autre histoire ou le malentendu de Julius-Amédée Laou (texte et M.E.S) avec Jann Beaudry (monologue n° 1), Jules Tricard (n° 2), Esther Myrtil (n° 3) et Max-Stéphane Etingué (n° 4).