« Quadrille » : « Le bonheur à deux, ça dure le temps de compter jusqu’à trois. » Sacha Guitry

— Par Roland Sabra —

Le théâtre aussi connaît des effets de mode. Ainsi Sacha Guitry, mort en 1957 est resté injouable pendant quelques décennies. Injouable parce que lui collaient à la peau les étiquettes de théâtre de boulevard et d’auteur misogyne. La misogynie est avérée comme en témoignent les abondantes citations et autres aphorismes de l’auteur présentant les femmes sous des jours éclairés de condescendance, de rancoeur, si ce n’est de mépris. Quant à la réputation de théâtre de boulevard il faut se souvenir que celui-ci n’existait que par différenciation d’avec le théâtre « officiel » celui de la Comédie française par exemple, ce théâtre qui se réservait les « grands » textes ou tout au moins ceux dont la facture était d’un classicisme de bon aloi. Théâtre des boutiquiers, des tenanciers d’échoppes, officines et autres bazars, au petit capital économique et démunis du capital culturel permettant d’accéder aux oeuvres de renom ce divertissement abordait les thèmes de leurs conversations préférées, l’argent, les bourgeois, les parvenus, les histoires de maris et de femmes emmêlés de maîtresses et amants. Théâtre privé de peu de ressources face au théâtre public subventionné il lui fallu trouver les moyens de survivre en explorant les berges de la facilité, du conservatisme esthétique, moral et politique, en flattant le public.

Il a été pendant longtemps de bon ton de mépriser ce théâtre florissant au 19 ème siècle et qui fût le théâtre de la libre entreprise, de la lutte victorieuse contre les privilèges des grands théâtres nationaux, celui de la révolution industrielle et d’une nouvelle classe sociale en quête de légitimité. Théâtre décrié mais qui peut s’enorgueillir de noms d’auteurs tels Labiche, Dumas fils, Victorien Sardou, , Rostand, Feydeau, etc.

Aujourd’hui une nouvelle génération de metteurs en scène, celle des trente quarante-ans s’aventure avec audace dans ce répertoire. Feydeau, Labiche et Guitry sont en t^te d’une affiche qu’en réalité ils n’ont jamais quitté mais ils le sont de façon plus affirmée revisités par les nécessités imposées par la résurgence des problèmes entre théâtre privés et théâtre publics mais aussi par le besoin de retrouver,ne serait-ce qu’au théâtre des identités sexuelles bien typées si ce n’est n’est stéréotypées. Cette relecture se fait aussi de façon paradoxale à partir des effets plus ou moins bien digérés du mouvement féministe comme l’illustre le « Quadrille » de Guitry crée à Foyal par Philippe Person à la demande de Michèle Césaire début mars 2007. Cette pièce « conçue, écrite, réalisée, jouée et filmée » par Monsieur « Moa », Sacha Guitry, relate un double adultère conclu par un double mariage. Alors que son amant Philippe, s’apprête à l’épouser une comédienne Paulette tombe dans les bras d’un acteur de cinéma étasunien, Carl de passage à Paris. Sa soi-disante « meilleure » amie, Claudine profitera de cet effet d’aubaine. Philippe Person dont on avait admiré le travail dans Angelo tyran de Padoue il y a plus d’un an à Fort de France a su traiter le sujet avec élégance, sans toutefois éviter au moins deux écueils du genre.


Un premier écueil : la misogynie de Sacha Guitry

Le spectacle est précédé d’un prologue, qui fidèle à la façon de Guitry de réaliser ses génériques de films, présente les comédiens. Original et intéressant. Un Maître d’hôtel présent sur le devant de la scène côté cour assure les transitions avec des citations et la lecture d’un échange épistolier entre l’auteur et quelques admirateurs plus ou moins critiques.

Les femmes sont plutôt présentées comme des femmes libres qui affirment leurs désirs et qui en assument les conséquences face à des hommes à la moralité discutable et non pas comme des écervelées irréfléchies, incapables de penser aux conséquences de leurs actes.

Philippe Person souligne dans sa mise-en-scène l’hypocrisie sociale qui entoure l’institution du mariage réduit ici à une simple formalité administrative dénuée de tout engagement durable. Pas un seul personnage positif. On épouse pour mieux tromper. Regard désabusé sur les désillusions inhérentes à qui n’aime dans l’autre que la réalisation de son moi imaginaire.

Reste la misogynie de Sacha Guitry que, l’ambivalence de Person tantôt efface, par le jeu de ses comédiens et tantôt souligne par les citations qu’il rapporte dans la pièce par l’intermédiaire du Maître d’hôtel, mais bon, il ne faut pas voir Quadrille avec le « Deuxième sexe » sur les genoux, si l’on peut dire, ou comme l’écrivait Simone de Beauvoir « On ne peut pas voir la mer et toujours penser au prix du poisson! ».

Un second écueil : la tentation du cabotinage.

D’un soir à l’autre la salle n’est « ni tout à fait la même ni tout a fait une autre », le spectacle proposé s’en trouve affecté et c’est pourquoi il est possible d’assister deux soirs de suite à une même représentation et ne pas recevoir la même chose. Une citation de Guitry rapportée par le Maître d’hôtel le rappelle. Jouer devant un parterre de scolaires est une épreuve autrement plus délicate que celle d’une première devant un public d’invités. Les comédiens de Philippe Person s’en sont bien tirés. Non seulement le public a suivi très attentivement les échanges mais il a participé, anticipant quelques fois sur les situations, faisant partager par des rires moins disciplinés que ceux de ses aînés mais plus déclaratifs le plaisir qu’il avait à découvrir un genre théâtral peu couru en Martinique. Qu’il est difficile de résister à l’appel d’un tel public, à en faire trop, à la troisième d’une création! Olivier Guilbert dans le rôle de Philippe se laisse aller parfois à prendre la voix de Sacha Guitry et Pascal Faber comme Maître d’hôtel cultive des complicités appuyées avec la salle, au risque bien réel de briser le rythme de la pièce mais le métier reprend vite le dessus. Plaisir du narcissisme que cultivait avec un art consommé Sacha Guitry.

Si le jeu des lumières reste en retrait par rapport au travail précédent de Philippe Person, l’univers sonore qui emprunte aux James Bond et à James Brown introduit une ironie, une distanciation quand ce n’est une dérision bienvenues. L’entrée en scène dans le dernier acte de Denis Leroy dans le rôle du beau séducteur, sur la musique de « It’s man’s man’s world » chavire la salle en provoquant une hilarité générale. Les trois comédiennes campent sans trop d’excès et de manière attachante chacune sur son registre, le trio « guitryen » classique de l’épouse, la maîtresse et la femme de chambre. Anne Priol, Paulette à la scène, raconte son adultère avec un naturel qui relève plus de l’évidence que de la légèreté. Claudine Tosi, comme journaliste, suggère que la recherche à tout prix de l’opportunité professionnelle ou sentimentale s’embarrasse peu de moralité. Alexandra Galibert en femme de chambre rappelle sa condition de salariée qui ne travaille pas pour le plaisir mais pour gagner sa vie. Et quand elle vend des « milans » à la presse « people » elle a au moins l’excuse de la nécessité.

Un vrai travail pédagogique

Le public, dont les gros bataillons venaient du Lycée Schoelcher, à fait preuve, par son sens de l’écoute, par les questions qu’il a posées aux comédiens et au metteur en scène après la représentation d’une maturité et d’une connaissance du théâtre en tous points admirables. Michèle Césaire poursuit ce travail méritoire de diffusion de pièces de qualité, somme toute peu fréquentes en Martinique, afin que le plus grand nombre puisse accéder à des formes culturelles qu’il serait difficile d’ignorer. On peut en effet ne pas aimer le théâtre de Sacha Guitry à condition d’avoir pu l’estimer. Le public martiniquais semble partager cet avis lui qui a rempli six fois de suite, la bien jolie salle du Théâtre de Foyal..

Roland Sabra

 

« Quadrille » de Sacha GUITRY

Compagnie Philipe PERSON

Mise en scène Philippe PERSON

Assistante : Sylvie Van Cleven

Avec :

Philippe : Olivier GUILBERT

Claudine : Florence TOSI

Paulette : Anne PRIOL

Carll : Denis LEROY

Femme de chambre : Alexandra GALIBERT

Maître d’hôtel : Pascal FABER

Décors : Vincent BLOT

Lumières : Anne DUTOYA / Amandine GEROME


La pièce ne sera reprise en France hexagonale qu’en mars 2008 selon la volonté des ayants droit de Sacha Guitry!