Pouvoir et domination selon Max Weber

La domination, de Max Weber. Éditions La Découverte, 2013. 426 pages, 29 euros.

— Par Arnaud Saint-Martin, sociologue —
la_domination_max_weberSont désormais disponibles en français les analyses et les théories du grand sociologue allemand visant à développer une typologie historique des systèmes d’autorité et de coercition.

On n’en finit pas de redécouvrir Max Weber (1864-1920). S’ajoutant à des traductions récentes de son œuvre, la Domination constitue une pièce de choix. Cette section d’Économie et Société, rédigée il y a maintenant un siècle, n’était pas disponible en français. Elle délivre de nouveaux aspects de la pensée du grand sociologue allemand.

L’ouvrage révèle une sociologie ambitieuse, à la fois très théorique et méticuleuse dans la description des faits de domination. D’une grande érudition, Weber alterne les définitions abstraites et les descriptions de configurations historiques aussi variées que les administrations patrimoniales de l’Égypte ancienne ou les diverses formes de féodalisme, le « césaropapisme » antique ou l’administration bureaucratique moderne. La domination, pose-t-il au départ dans une définition sommaire, « idéal typique », est le « pouvoir de donner des ordres » et de les rendre légitimes pour les individus (dominés) s’y exposant.Puis Weber donne des clés pour comprendre, sous la forme de concepts opératoires et de typologies. Trois types « purs » de légitimité de la domination sont par exemple dégagés et testés : celle ancrée dans la tradition, prescrivant l’obéissance sans souffrir la contestation (c’est ainsi et pas autrement) ; celle légale, fondée sur des règles rationnelles, que requièrent les systèmes de commandement des organisations bureaucratiques modernes ; et enfin celle tout entière fondée sur le charisme d’une personne (chef, sauveur, prophète, héros…), structure sociale d’autorité dont on devine d’ailleurs qu’elle fascine le plus Weber. Ces registres de légitimité s’intègrent en outre à des types théoriques de régimes politiques (dominations bureaucratique, patrimoniale, féodale et charismatique) repérés dans le cours de l’histoire. On perçoit le coup de force d’une analyse qui parvient à réduire la complexité d’une réalité virtuellement inépuisable en offrant au lecteur les moyens de discerner les subtiles différences entre les formes de domination.

Certes la conception wébérienne de la domination est-elle située historiquement et idéologiquement. Dans sa préface, Yves Sintomer souligne les limites d’une pensée du pouvoir qui reste fascinée par l’autorité des grands chefs charismatiques, un élitisme rampant doublé d’une hantise des masses, et un eurocentrisme sous-tendu dans les comparaisons de l’Occident moderne avec le reste du monde. Si donc « nous ne pouvons plus être wébériens » aujourd’hui, il n’empêche que le projet intellectuel de l’auteur est si exigeant et (encore) fécond qu’il a des chances de stimuler l’imagination théorique des sciences sociales contemporaines. Et le lecteur – dominé par l’envie d’en lire plus – d’attendre d’autres traductions, d’ores et déjà annoncées par l’éditeur.

Arnaud Saint-Martin, sociologue.
http://www.humanite.fr/tribunes/pouvoir-et-domination-selon-max-weber-561292

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