Pourquoi faut-il tous manifester samedi 1° juin?

— Par Jacky Dahomay —

Que nous soyons tous différents, selon nos  origines, nos conceptions politiques, religieuses, idéologiques, nos âges ou nos expériences diverses, quoi de plus normal dans toute société démocratique ? Mais il arrive que les démocraties se perdent, dans des expériences négatives. Cela se produit lorsque nous oublions le sens du bien commun, surtout quand l’Etat et les partis politiques n’ont guère le  souci d’un sens plus élevé de la politique. C’est ce qui s’est produit avec la  tragédie de  la chlordécone. Des intérêts particuliers ont  prévalu sur le bien public. Il  appartient donc  aux différentes composantes de la société civile de se révolter et de réaffirmer le sens  du bien public c’est-à-dire de l’intérêt général. Telle la tache de l’heure, celle qui nous dicte de manifester le premier juin contre la reprise de l’épandage aérien. Et nous devons le faire pour plusieurs raisons :
Premièrement, même si diverses enquêtes montrent  que la grande majorité de l’opinion est contre la  reprise de l’épandage aérien, on ne peut en rester à une simple constatation statistique. Il s’agit donc de manifester au grand jour, dans l’espace public, notre mécontentement. Tel est notre devoir de citoyen. Il n’est pas normal que l’Etat (par la voie de Lurel le Ministre et de  Marcelle la Préfète) nous impose une pratique que, majoritairement, nous  condamnons. Le poids des lobbies des pesticides et de la banane ne doit pas prévaloir sur la puissance du démos, du peuple, que nous représentons. Mais encore faudrait-il que cette puissance se déploie. Il  ne  s’agit pas  de déclarer  que l’on  est contre la reprise de l’épandage  aérien et de rester chez soi le jour prévu  pour la  manifestation ou de mettre en avant des querelles de personnes plutôt que l’intérêt général, ce qui d’ailleurs est une tare léguée par la  complexité de notre histoire. Rappelons tout de même que  c’est grâce à l’action menée par nos associations qu’on a pu interdire le  banole et d’autres produits dangereux qui depuis plus  d’un an  étaient disséminés par épandage  aérien. N’avons-nous pas fait oeuvre de salubrité publique ? Est-il normal que dans la demande de dérogation des planteurs, il ne soit pas précisé explicitement les produits qui vont être utilisés.  Nous prend-on pour des imbéciles ?
Deuxièmement, nos  divergences, normales dans toute démocratie, ne peuvent être un frein à l’unité ponctuelle face à des événements aussi graves. Les pratiques  culturales négatives qui nous ont été  imposées dans notre  pays ont déjà fait beaucoup de mal. Il n’est pas  acceptable que l’on puisse souffrir à ce point  que nos pays soient devenus des « monstres chimiques ». Pensons à l’avenir de nos enfants, à celui des générations futures. Nous avons un devoir vis  à vis d’eux. Un peuple  qui accepte cela aujourd’hui ne pourra rien  construire de positif  demain. Telle est notre responsabilité. Nous devons donc savoir mettre entre parenthèses nos divergences politiques ou idéologiques, même ponctuellement quand il s’agit de l’intérêt  supérieur de la Guadeloupe. Il est supérieur  car il transcende  les clivages  sociaux et politiques. Car c’est  le  même lieu, nos îles, que tous nous devons continuer à habiter. Quand donc  l’Etat s’avère prisonnier de la puissance des lobbies soucieux uniquement de leurs intérêts fussent ceux-ci contraires à l’intérêt général, quand malheureusement nos politiciens locaux, à part quelques rares exceptions, sont incapables de prendre leurs responsabilités face à ces graves problèmes, il appartient à la société civile  de faire entendre sa voix.
Troisièmement, il faut aussi être dans la rue le 1°juin  car ce n’est pas souvent qu’un ensemble d’associations et d’organisations diverses appellent unitairement à manifester sur un problème  de nature essentiellement sociétale. Non que les problèmes sociaux ne soient pas importants. Ils  risquent de l’être d’autant plus  que la crise s’aggrave et que les entreprises guadeloupéennes connaissent de plus en plus de difficultés et que le chômage, déjà endémique, ne cesse d’augmenter. L’histoire nous montre qu’en période  de crise, la souffrance ou le désarroi des  travailleurs peuvent les conduire à perdre de vue l’intérêt général, à s’abandonner à des préoccupations de survie de courte vue et à se laisser séduire par des leaders  fascistes. Ce spectre  guette aussi bien l’Europe que d’autres pays du monde. Il nous semble donc important que durant ces graves temps de crise des manifestations pour la défense de l’intérêt  public maintiennent le cap de l’espérance et introduisent une rupture dans ce climat délétère.
Enfin, nous savons bien que la crise ouverte dans la banane a des conséquences sociales et économiques importantes, que les travailleurs agricoles de ce secteur comme les petits et moyens planteurs craignent de perdre leurs moyens de subsistance. Mais  Il y a longtemps que la question de la transformation de l’agriculture en Guadeloupe est posée. Or, à ce sujet, l’attentisme est ce qui caractérise l’Etat et nos responsables politiques. Quand Victorin Lurel déclare que notre collectif serait responsable si on se retrouve avec des tonnes de bananes sur les bras, c’est profondément injuste. Depuis la tragédie de la chlordécone, la question de la restructuration de l’économie agricole  est posée. Or les responsables politiques et l’Etat ont eu une position tout à fait  attentiste à ce sujet, dans l’intérêt bien sûr du lobby bananier et de celui des pesticides. C’est de l’irresponsabilité grave de leur part d’autant plus que  le rapport de la Cour des  comptes de 2011 montre  bien que les  subventions accordées aux planteurs de banane, si elles enrichissent ces derniers, ne rapportent pas beaucoup à l’économie guadeloupéenne et ne favorisent pas la  diversification agricole. En manifestant tous dans la rue le 1° juin pour interdire la reprise de l’épandage aérien, nous contribuons à la prise de conscience de cette modification nécessaire pour une agriculture au service du peuple et, en surgissant ainsi dans l’espace public comme volonté collective, c’est aussi une manière de participer à une opération de « désenkayage » de notre pays. Mais au-delà de la Guadeloupe, nous participons ainsi, au plan international, à la lutte de tous ceux qui s’opposent à la domination du système néolibéral mondialisé lequel, en s’appuyant sur les avancées de la technoscience et au mépris de toute bioéthique, développe un productivisme dans  l’agriculture et  l’élevage soucieux uniquement de ses intérêt financiers et qui en conséquence écrase l’homme  et la nature, comme si le  progrès avait noué un pacte avec la barbarie.
Telle est la  petite réflexion que je voulais communiquer et bien sûr, cela n’engage que moi et non l’ensemble des organisations signataires du tract d’appel à la manifestation.

http://www.madinin-art.net/halte-a-lempoisonnement-de-nos-populations-twop-se-twop/