Pour les banques, l’impunité perpétuelle

—Par FABIEN HASSAN Ecole normale supérieure —

banqueDébut août, l’ex-trader français de Goldman Sachs, Fabrice Tourre, a été jugé coupable pour avoir vendu des produits financiers qu’il savait «toxiques», en 2007, dans l’affaire Abacus. Les médias ont retenu le plus savoureux : les mails envoyés par le trader à sa petite amie, et notamment l’extrait dans lequel il se vante d’avoir vendu des produits complexes et sans valeur à «des veuves et des orphelins». Ce genre de propos n’attire pas la sympathie d’un jury populaire, et la SEC (l’autorité boursière américaine) a donc insisté sur ces éléments. Dans le scandale du Libor en 2012, la FSA, homologue britannique de la SEC, avait aussi utilisé ce type de messages. La presse mondiale avait adoré ce mail, envoyé suite à une manipulation de taux : «Mec, je t’en dois une belle ! Passe un soir après le boulot et j’ouvre une bouteille de Bollinger [une marque de champagne].» La condamnation de Tourre suscite pourtant un malaise. C’est la banque Goldman Sachs qui aurait «donné» son trader, en envoyant aux autorités les fameux mails, écrits en français, et leur traduction en anglais. C’est elle qui paye les avocats de Tourre. Mais ce n’est pas elle qui est jugée. Et le supérieur de Tourre au moment des faits, qui prétend n’avoir rien su des manœuvres de son ancien subordonné, est toujours employé de la banque. Goldman Sachs, comme les autres «gros» impliqués, a transigé avec la SEC et ne peut donc plus être inquiétée. Comme si après un braquage, on ne jugeait que le chauffeur, parce que les autres braqueurs se sont déjà arrangés avec les autorités. Ça ne rend pas le chauffeur innocent, ça en fait tout de même la victime d’une justice inéquitable. D’ailleurs, au départ, la SEC était très divisée : certains craignaient un revers judiciaire et un contrecoup médiatique. Finalement, elle tient son coupable et serait, selon le Financial Times, «aux anges après avoir obtenu le scalp de Tourre».

Le problème vient-il du système de la transaction aux Etats-Unis ? En décembre 2012, la banque HSBC, accusée de blanchiment d’argent au Mexique et en Colombie, transige avec les autorités américaines et paye 2 milliards de dollars pour mettre un terme aux poursuites. HSBC avait sciemment recyclé l’argent des narcotrafiquants, qui avaient tellement l’habitude d’y déposer leurs gains qu’ils ont finis par fabriquer des boîtes de la taille des fentes des distributeurs HSBC pour y déposer un maximum de billets à chaque passage ! L’absence de peine de prison donne le sentiment d’une impunité des banquiers, dénoncée à l’époque par le magazine américain Rolling Stone.

Autre signe de l’inefficacité de cette politique judiciaire, la banque JP Morgan aurait payé près de seize milliards de frais de justice depuis 2009. La liste, dressée par le Daily Beast, un journal américain, est stupéfiante : tous les trois ou quatre mois, la banque est condamnée à verser quelques centaines de millions par ci, un milliard par là. Et ça continue. En juillet, JP Morgan a de nouveau dû verser 400 millions de dollars après avoir admis des manipulations sur les prix de l’énergie aux Etats-Unis.

La justice française a-t-elle un meilleur bilan ? D’abord, en Europe, les autorités n’ont pas souhaité poursuivre les banques pour tout et n’importe quoi après 2008, et utiliser ces poursuites judiciaires comme un moyen de grappiller quelques centaines de millions et de satisfaire l’opinion publique, tout en laissant les choses continuer. C’est une bonne chose.

Mais souvenons-nous de l’affaire Kerviel : avocats surpayés, combat inégal, banque épargnée qui consacre des centaines de pages à expliquer publiquement qu’elle ne sait rien du travail de ses propres employés, et en face le jeune trader abandonné, privé du soutien de l’opinion par ses costumes trop chers, son absence apparente de regrets et de sens moral, et son mépris affiché pour tous ceux qui ne comprennent rien aux mathématiques financières. Et finalement cette amende surréaliste de 5 milliards pour un individu, comme dans les pires absurdités du système américain et ses condamnations à des centaines d’années de prison….
2 septembre 2013

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