Politique migratoire : «Il faut arrêter de considérer que le Sud veut envahir le Nord»

— Entretien réalisé par Emilien Urbach —
immigration-2Militante des Droits de l’homme et de l’éducation populaire depuis plus de 30 ans, Marie-Christine Vergiat est députée européenne du Front de gauche depuis 2009. Elle réagit aux dernières déclarations du ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, concernant la situation des étrangers à Calais et, plus largement, à la politique européenne en matière d’immigration.

Dans une interview donnée mercredi, au quotidien La voix du Nord, Bernard Cazeneuve, annonce l’octroi de moyens supplémentaires aux associations calaisiennes d’aide aux migrants, l’augmentation du nombre d’agents de l’Ofpra et de l’Ofii sur place. Par ailleurs, la sénatrice-maire UMP de Calais a déclaré mardi, après une rencontre avec le ministre de l’Intérieur, qu’un accord a été conclu pour créer un centre d’accueil d’urgence. Il serait fermé aux hommes la nuit mais ouvert aux femmes, aux enfants et en cas de plan « grand froid ».

Les dernières mesures envisagées pour Calais sont-elles satisfaisantes ?

Marie-Christine Vergiat : A priori, ça va dans le bon sens. Mais c’est assez incompréhensible que les hommes n’aient pas droit à un hébergement de nuit. Les droits fondamentaux valent pour tout le monde. Il n’y a aucune raison de les obliger à dormir dehors. On peut se satisfaire qu’on prenne en charge les femmes et les enfants, mais la réalité restera difficile pour les hommes, largement majoritaires. Dans le Calaisis, je crains que les problèmes ne soient traités que partiellement. La situation s’est aggravée avec la fermeture du centre de Sangatte, en 2002. Cette disparition devait supprimer toutes les filières mafieuses de passeurs. Il n’en a rien été. Depuis, on démantèle les squats et les campements de fortune. Mais la situation ne se règlera pas de cette façon. Les droits fondamentaux doivent être respectés. La dignité des étrangers également, sinon nous devrons faire face à des crises de plus en plus importantes.

Bernard Cazeneuve déclarait, mardi, dans Libération que « la France ne peut accueillir tout le monde ». La France serait-elle « envahie » par les immigrés ?

Marie-Christine Vergiat : Notre pays ne subit pas plus de pression migratoire que ses voisins européens. Les immigrés sont des bouc-émissaires faciles. Il n’y a pas d’augmentation constante ou progressive de leur nombre en France. C’est du fantasme. 77% des étrangers vivants en Europe sont concentrés dans les cinq pays les plus peuplés : l’Allemagne, l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie et la France. La France est en cinquième position alors qu’elle est le deuxième pays le plus peuplé d’Europe. Proportionnellement à leur population, les pays qui subissent le plus de pression sont Malte et Chypre, à cause de leur localisation géographique. Ensuite, c’est la Grèce, l’Italie et l’Espagne. La France n’est pas du tout dans ce genre de situation. On manipule les chiffres de façon complètement insupportable, pour créer de la peur et du fantasme. La conséquence, c’est la montée du racisme et de la xénophobie. Il faut arrêter de considérer que le Sud veut envahir le Nord. Il faut regarder la réalité des chiffres et arrêter de se faire peur.

Y’aurait-il une stratégie politique de nos gouvernants visant à faire monter la peur de l’étranger ?

immigration-1Marie-Christine Vergiat : Concernant l’immigration, la droite s’est alignée sur les idées du Front-national et toute la gauche est tétanisée ou sur la défensive. Si on avait fait le choix d’une véritable politique de solidarité en Europe, on ne serait pas dans cette situation à Calais ou au large des côtes italiennes. Mais on préfère opter pour la fermeture des frontières en jouant sur la peur. Le journal Libération a parlé d’une augmentation de 500% des entrées illégales sur le territoire européen. C’est du fantasme ! Ces dernières années, on estime entre 72 000 et 140 000 les entrées irrégulières en Europe qui compte pas moins de 500 millions d’habitants. De plus, si on est attentif aux départs, on se rend compte que le nombre de personnes qui restent sur le territoire est finalement minime. La réalité du solde migratoire européen c’est 30000 individus. On est loin de l’invasion.

Bernard Cazeneuve affirme vouloir convaincre ses homologues européens de « renforcer la surveillance des frontières» en développant les opérations de contrôle dans le cadre du dispositif « Frontex-plus »…

Marie-Christine Vergiat : Je ne vois pas ce que ça changerait. La sécurisation des frontières se fera au détriment des migrants. Il y a effectivement de plus en plus de sauvetages en mer. Mais ça ne suffit pas. Une fois sauvés, on renvoie ces étrangers d’où ils viennent. En plus de ne rien régler, ces politiques conduisent à des drames tels que celui qu’on a connu à Tanger, il y a huit jours. On augmente la tension dans les pays de transit et on ne se préoccupe pas du sort des personnes expulsées. L’Union européenne détient déjà tous les outils pour la surveillance de ses frontières. Ceux qui veulent traverser prennent de plus en plus de risques pour essayer d’échapper aux contrôles.

Vous êtes députée européenne. Quelle est votre marge de manœuvre ?

Marie-Christine Vergiat : Au début de l’année, la Commission européenne a présenté un rapport sur le sauvetage en mer des étrangers qui tentent la traversée entre l’Afrique et l’Europe. La commission défendait des propositions qui allaient dans le sens du respect des droits fondamentaux et de la dignité humaine. En avril, le Parlement a approuvé le texte. Mais on s’est ensuite heurté au blocage du conseil des ministres. Il a modifié le texte pour qu’il ne concerne que Frontex et pas les agents des états membres. Or, les principaux responsables des morts en Méditerranée ce sont eux. En mer Égée, c’était la faute des gardes-côtes grecs. À Ceuta et Melilla, ce sont les policiers espagnols qui ont tiré sur les bouées. La majorité des morts en Méditerranée sont des demandeurs d’asile potentiels. Ils sont Érythréens, Somaliens, Éthiopiens, Syriens, Afghans… L’Espagne, l’Italie, la France, la Grèce, Malte, Chypre se sont opposés à toute avancée véritable dans le texte. Seules les subventions de l’Union-européenne les intéressent. Pas d’avoir à respecter des règles.

Quelles solutions défendez-vous ?

Marie-Christine Vergiat : Il faut arrêter de se faire peur. Arrêter de mettre de l’huile sur le feu à coup de politiques « va-t-en guerre ». Faire le choix de la solidarité. Il y a des droits fondamentaux reconnus internationalement. La déclaration universelle des droits de l’homme, la convention européenne des droits de l’homme et la charte européenne des droits fondamentaux doivent être respectées. Il faut reconnaitre le droit de vivre en famille à tous et donc aussi aux étrangers. Il faut en finir avec les législations qui deviennent des machines à fabriquer des sans papiers. Il y en a beaucoup qui entrent en situation régulière et qui, du fait des lois, se retrouvent en situation irrégulière. Le droit au travail, le droit à l’éducation, le droit au logement sont des droits fondamentaux. En réalité, on assiste au développement d’un fantasme sur les pays du sud couplé à un repli identitaire sur des valeurs européennes judéo-chrétiennes. Aujourd’hui, on nous parle d’immigrés de troisième ou quatrième génération. C’est délirant ! Selon un récent rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, les Français sont de plus en plus racistes. Au regard des projets de lois sur l’immigration et l’accueil des réfugiés que veut faire voter Bernard Cazeneuve au Parlement, le constat est là : en matière d’immigration, il n’y a malheureusement pas de différence entre la politique de ce gouvernement PS et celle de son prédécesseur UMP.

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