Piano classique à l’Atrium

— Par Selim Lander —

Dans toutes les époques les vieux réactionnaires ont été inaudibles et même ridiculisés. Qu’on permette quand même à l’un d’entre eux d’exprimer son bonheur (nul n’est obligé à le lire). Oui, ce fut un bonheur d’écouter enfin, pour la première fois en Martinique lors de cette saison 2016-2017, un instrument, le piano en l’occurrence, dans toute sa pureté ou sa simplicité, comme on voudra. Car si nous avons déjà entendu cet instrument pendant le festival de jazz, il était systématiquement amplifié, à l’instar des autres instruments, comme si désormais, pour les musiciens d’aujourd’hui, l’important avant toute chose était d’en mettre plein les oreilles des auditeurs. Il y eut certes des moments de grâce : parfois, dans ces concerts, le batteur a accepté de se calmer, les guitares et basses électriques se sont tues, et l’on a pu avoir une idée de ce que furent les petites formations de jazz d’antan lors d’un bref solo du piano ou un duo piano-contrebasse avec ou non accompagnement discret de la batterie. Si ces instruments restaient amplifiés, au moins le bruit avait-il cessé. Évidemment celui-ci n’est rien à côté de celui produit par certains groupes dans leurs concerts ou, pire encore, dans les boites de nuit où le rythme obsédant des basses se déverse à plein tube dans les baffles, empêchant toute conversation suivie.

Seuls résistent à la manie de l’amplification les musiciens classiques et les chanteurs d’opéra. Pour combien de temps ? Ne soyons pas trop pessimistes… Et en attendant ne boudons pas notre plaisir. Du plaisir, nous en eûmes jeudi 30 mars avec le récital de deux interprètes jouant en duo sur le même instrument, ce qui n’est pas si fréquent. Gabriel Tacchino, soliste confirmé, professeur à la Schola Cantorum, se faisait accompagner à gauche du clavier par une jeune pianiste, Emmanuelle Stéphan, dans un répertoire où les compositeurs français (Poulenc – dont un solo de G. Tacchino –, Ravel, Satie) se taillaient la part belle à côté de Chopin (E. Stéphan en solo) et Grieg (plus Brahms dans les bis).

Ceci dit, en dehors du bonheur d’entendre l’instrument dans toute sa pureté, force est de reconnaître que la prestation des deux musiciens ne fut pas absolument enthousiasmante. On l’a d’ailleurs senti aux applaudissements. Leur jeu, les yeux sur la partition (sauf quand même dans les solos), s’il fut sans faute fut aussi sans la passion, la fougue qu’on attend ordinairement d’interprètes reconnus.