« Penser le nazisme » : Johann Chapoutot publie La loi du sang.

la_loi_du_sangDevant l’ampleur et le caractère inédit des crimes nazis – qu’ils soient collectifs ou individuels –, les historiens butent sur la causalité profonde, qui reste obscure.
Ces comportements monstrueux s’appuient pourtant sur des fondements normatifs et un argumentaire juridique qu’il faut prendre au sérieux. C’est ce que fait ici Johann Chapoutot dans un travail de grande ampleur qui analyse comment les philosophes, juristes, historiens, médecins ont élaboré les théories qui faisaient de la race le fondement du droit et de la loi du sang la loi de la nature qui justifiait tout : la procréation, l’extermination, la domination.
Une profonde intimité avec une immense littérature publique ou privée – correspondances, journaux intimes –, avec la science et le cinéma du temps, rend sensible comment les acteurs se sont approprié ces normes qui donnent un sens et une justification à leurs manières d’agir. Comment tuer un enfant au bord de la fosse peut relever de la bravoure militaire face à l’ennemi biologique.
Si le métier d’historien consiste à comprendre et non à juger, ou à mieux comprendre pour mieux juger, ce livre jette une lumière neuve et originale sur le phénomène nazi.

Les nazis ont agi, comme sans doute jamais on a agi au cours de l’histoire : le continent européen bouleversé, des populations déplacées en masse, des dizaines de millions de personnes affamées et assassinées, des territoires détruits avec une intensité, une précipitation et une violence qui stupéfient. Comment a-t-on pu combattre, planifier, conquérir, tuer, édifier autant en aussi peu de temps ? Ces actes sont fondés sur des motifs et des motivations.
Ils possèdent également des fondements normatifs qui, jusqu’ici, ont été peu étudiés. D’abondantes sources introduisent l’historien à une multitude de textes, d’images et de paroles qui prescrivent des actes, qui indiquent des modalités d’action et qui révèlent pourquoi agir ainsi. Ces sources permettent d’approcher un discours nazi qui raconte l’origine, déplore l’aliénation, constate l’urgence et ordonne l’action.
Ce discours décrit, prescrit, induit des normes : il fut un temps où la race nordique agissait sainement. Acculturée et dénaturée par l’importation de normes étrangères, comme le  » judéo-christianisme « , la race a commencé à agir contre la nature et contre elle-même. C’est donc à un retour à la loi de la nature, à la loi du sang, qu’invitent toutes ces sources. Juristes, médecins, historiens, philosophes, hiérarques du parti et de l’Etat, raciologues, journalistes, documentaristes et cinéastes enseignent que, pour que la race vive dans un monde hostile, il faut procréer, combattre et régner.
Là sont les fondements normatifs de l’agir nazi.

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Johann Chapoutot, La loi du sang. Penser et agir en nazi, Paris, Éditions Gallimard, coll. « NRF Bibliothèque des histoires », 2014, 567 p., ISBN : 978-2-07-014193-7.