« Paterson » : Petites conversations entre amis

— Par Selim Lander —

Paterson, New Jersey, la ville des poètes, celle de feu William Carlos Williams en particulier, l’idole d’un chauffeur d’autobus apprenti poète qui porte – le hasard fait bien les choses – le nom Paterson. Il vit avec Laura, sa muse, plus amoureux d’elle (pour autant qu’on puisse en juger) sur son carnet secret (« secret book ») que dans la vraie vie. Laura est d’ailleurs l’incarnation d’un certain type de femmes qui fait rêver autant qu’il peut agacer : la femme enfant aussi adorable qu’irresponsable. Alors que lui est sans doute trop responsable, effrayé qu’il est par toute dépense non prévue dans son budget. Et si peu habitué à « sortir » que lorsqu’il accepte, entraîné par Laura, une soirée cinéma, le bouledogue de la maison dévore son carnet, réduisant à néant toute son œuvre de poète…

Le film de Jim Jarmusch vaut d’abord pour la peinture de ce couple à des années lumières de la plupart des amoureux de cinéma. Mais il vaut plus encore pour les rencontres que fait Paterson en dehors de chez lui : dans son bus, où il se contente d’écouter ce que racontent les passagers, et celles dont il est acteur quand il promène le chien ou au cours de sa halte rituelle dans un bar tenu par un noir paternel et passionné d’échecs. Il faut préciser ici que la ville de Paterson telle qu’on la montre dans le film est un modèle de cohabitation harmonieuse entre les races. Paterson, le poète, est joué par Adam Driver, un blanc. Sa compagne est interprétée par une iranienne (Golshifteh Farahani). Les comparses sont indien (le dispatcheur du dépôt de bus), japonais (le poète appelé à jouer un rôle salvateur in extremis), blanche (la poète enfant) et pour la plupart des autres noirs. Aucune tension entre tous ces personnages : même les voyous à casquette qui font une brève apparition se montrent bienveillants.

Il n’y a pas d’amour heureux… À côté de couple Paterson-Laura, le film montre celui du patron du bar et de sa femme lourd de conflits anciens et celui de deux jeunes clients dudit bar, couple qui n’en est plus un puisque la ravissante demoiselle ne veut plus entendre parler de son soupirant (désespéré, du coup).

Tout cela ne signifierait rien (d’autant que les poèmes de Paterson sont d’une simplicité navrante) s’il n’y avait pas la manière dont c’est filmé. Pas la moindre vulgarité (dans les images comme dans les dialogues), des petites touches mélancoliques (le film est tourné en automne avec les couleurs de cette saison, la plus belle en Amérique du Nord), des rappels humoristiques (sur le thème des jumeaux, à propos de la fixation de Laura sur les couleurs noir et blanc, sur le chien). Les scènes de lit défient les lois du genre telles qu’aujourd’hui admises. Il n’y a « rien » à voir, sinon l’espièglerie de Laura et la tendresse maladroite de Paterson.

Poésie (on ne parle pas ici des textes du héros mais de l’atmosphère du film), timidité de l’un et naïveté de l’autre, pudeur, humour léger, tels sont quelques-uns des ingrédients qui font le succès du film. À quoi s’ajoute la photo (et le choix des lieux qui va avec). Un cinéma qui nous fait respirer un autre air : un cinéma exemplaire, tout simplement.

Nouvelle projection à Madiana dans le cadre des films en VO de Tropiques-Atrium le 19 janvier 2017.

 

PS/ Paterson, on l’aura compris, est, entre autres, un film sur la poésie. Les cinéphiles savent que ce genre produit le plus souvent des films délicats et émouvants (par exemple Poetry de Lee Chang-dong). Paterson en est un autre exemple.