Pas une voix au racisme

— Par Serge Letchimy, député de la Martinique —
 
            Que Marine Le Pen puisse disposer chez nous d’un nombre de voix aussi considérable relève du cauchemar. Cette aberration ne fait pas que nous interpeller : elle signale une carence majeure qui nous concerne tous : politiques, parents, enseignants, éducateurs, responsables de toutes sortes… ! 
Il revient à chacun d’en tirer une leçon.

            Pour moi, le FN est consubstantiel au racisme le plus systémique, le plus actif, le plus violent. Son assise s’articule sur l’idée d’une supériorité de l’homme blanc sur les autres hommes en général et sur l’homme noir ou métis en particulier. Sa philosophie politique — ou plus exactement : sa virulence politicienne — est une diabolisation de la différence et de l’altérité, et un refus de la diversité biologique ou culturelle.

            Racisme, xénophobie et autoritarisme ne sont pas des opinions ou des options démocratiques. Ce sont des sources monstrueuses. Pas un génocide, pas une seule cale de navire négrier, pas un coup de fouet infligé à nos ancêtres esclaves, pas un rivet de leurs colliers, pas un maillon de leurs chaînes, pas une seule mesure relevant de la colonisation, de l’impérialisme, des exploitations multiformes qui longtemps ont détruit le tiers-monde, pas une seule planche des camps de concentration et pas une seule molécule des substances qui furent utilisées dans les chambres à gaz, ne sauraient être séparés des dispositifs que de telles conceptions sont susceptibles de mettre en œuvre. De par le monde, on ne saurait dénicher un régime autoritaire, un ordre fascisant ou sommairement dictatorial, qui ne s’alimentent à de tels principes. 

Hitler disposait d’un programme social, populaire, populiste, attrayant. Qui s’en souvient ? Qui s’en réclame ? Lui aussi proposait de restaurer une fierté nationale ! Ce ne sont pas les ornements sociaux, les artifices nationalistes ou les appâts démagogiques qui comptent. Ce qu’il nous faut considérer, c’est l’esprit qui sous-tend les mécanismes du piège et qui bande ses ressorts. Cette idéologie, ce racisme, ce rejet de l’étranger, cette volonté de prééminence et de hiérarchisation biologiques et culturelles, ont suscité les plus gigantesques massacres. Partout où ils ont accédé à une maille de pouvoir, dans le monde, en Europe, ou dans certaines villes de France, l’atteinte aux libertés essentielles a été immédiate. Le racisme et la xénophobie peuvent devenir un mode d’administration de la police, de l’armée, de l’éducation, de la recherche, de la santé, de la justice, de la culture… Tous les fondements du genre humain peuvent se voir légalement contestés et soumis — comme le crie madame Le Pen elle-même — à une « remise en ordre » !

Dans notre contexte historique et culturel, le vote de certains de nos compatriotes pour cette monstruosité se transforme en une déflagration qui ne peut que bouleverser notre conscience. La situation économique catastrophique qui est la nôtre, ce taux de chômage structurel que rien n’est jamais parvenu à juguler, ces retards qui sapent notre vie matérielle à la base, ont pour ainsi dire aveuglé notre action politique. Il nous faut lutter pied à pied, jour après jour, contre les misères, les précarités, les souffrances grandissantes. Ces urgences nous ont écartés de ce qui aujourd’hui nous explose au visage et que l’on pourrait résumer ainsi : le néo-libéralisme et sa finance, la logique du marché, le dogme du profit, l’exigence d’une croissance perpétuelle où se nourrissent les actionnaires, ne font pas que créer des misères et des précarités. Ils portent aussi atteinte à la perception que nous avons de nous-mêmes et du monde. Ils détruisent les principes, invalident l’éthique, mettent à mal la probité, le goût de la justice, l’honneur et le sens de la responsabilité. Ils nous précipitent dans une vérifiable indigence mentale, morale, spirituelle. 

            C’est là que se situe le drame. 

Césaire n’a jamais cessé de rappeler que le combat pour l’épanouissement de chaque individu, n’était pas seulement une affaire de logement, d’emploi, d’eau courante, d’aides financières et de secours. Il avait compris que c’était aussi et surtout un combat culturel, c’est à dire : une valorisation attentive de ce qui permet à chacun de s’inscrire dans sa réalité historique, son contexte civilisationnel, d’inscrire sa réalité, ses peurs, ses besoins, ses désirs, sa créativité, dans une géographie cordiale plus ouverte et plus large, dans une vision plus exigeante et par là-même plus généreuse de lui-même et du monde. Il savait que les nourritures artistiques et esthétiques mises en œuvre dans son grand festival et qui se prolongeaient jour après jour dans les activités du Sermac, étaient aussi essentielles que les secours qu’il prodiguait. Nous avons perdu la maîtrise de ce domaine. Le monde a changé. Les modalités de notre questionnement et de nos conscientisations historiques, scientifiques, artistiques et culturelles doivent être repensées, approfondies, et amplifiées. Nous avons besoin de plus de culture, plus de science, plus de conscience, plus d’humanité, et en finale de plus de Politique au sens le plus noble de ce terme ! Ceux qui aujourd’hui votent le Pen pour des raisons de misères, de colère, de frustrations, de refus d’un système où ils ne trouvent pas leur place, le font aussi parce qu’ils ne savent plus qui ils sont, où ils vont. Ils ne savent plus ce qu’ils peuvent porter au monde, et ce que leur histoire très singulière leur confère en dimension et en devoir irremplaçables.  

            Ce travail est à faire. 
            Il est immensément Politique. 

            Toute véritable politique ne vise qu’à l’épanouissement de ce que l’homme a de plus noble, de plus grand, de plus exaltant. Elle doit nourrir, comme le dit si bien Edgar Morin, toutes les équations du vivre-pour-soi, du donner-à-vivre et du vivre-ensemble. Pour ce vote du second tour des présidentielles françaises et pour tous ceux qui viennent, pas une seule de nos voix ne doit se donner au racisme, à la xénophobie, à la haine de la diversité. Pas une seule de nos voix ne doit se perdre dans la glorification de la prééminence blanche, dans la justification des navires négriers, des plantations esclavagistes, de la colonisation, des camps d’extermination, et du rejet des étrangers. Pas une seule de nos voix ne doit manquer à notre propre dignité. 
 
Serge LETCHIMY
Député de la Martinique
Président du Parti Progressiste Martiniquais.