« Partisans » : hélas !

Partisans— Par Selim Lander —

Le plus grand poète français ? Victor Hugo, hélas ! – La page la plus glorieuse de l’histoire (récente) de la France ? La Résistance, hélas ! serait-on tenté de répondre après avoir vu la pièce de Régis Vlachos. La note d’intention du spectacle dit tout :

« Ce projet est né suite à la lecture du livre de Stéphane Hessel, Indignez-vous ! Comment pouvons-nous considérer nos droits sociaux comme acquis ? Comment pouvons-nous les voir disparaître au fil des années sans même réagir ? Même s’il s’agit d’une ‘piqure de rappel’, il nous semblait important de faire réagir les nouvelles générations ».

Et comment dire du mal d’un projet pétri d’aussi bons sentiments ? Réveiller les Français anesthésiés par le néo-libéralisme triomphant, éveiller les jeunes générations à la conscience politique, y a-t-il une tâche plus urgente à accomplir aujourd’hui ? Convenons que non mais un spectacle bourré de bonnes intentions ne fait pas nécessairement du bon théâtre. Passons sur les ambiguïtés de tout théâtre politique, sur la difficulté qu’il éprouve lorsqu’il s’agit de vraiment mobiliser les spectateurs – nous renvoyons là-dessus à notre article publié dans Esprit (1) – et venons-en à la pièce elle-même. On admettra pour commencer qu’un même texte sur la Résistance ne sera pas reçu de la même manière par le spectateur âgé qui connaît par cœur son histoire du XXe siècle et par le collégien qui découvre un sujet pour lui très lointain. Cela va sans dire mais Partisans n’est pas une pièce réservée au jeune public et le spectateur averti a le droit d’avoir un point de vue critique.

Soit donc trois jeunes résistants : un prolétaire communiste, une petite bourgeoise socialiste juive et féministe, un bourgeois maurassien. Le triangle est parfait pour faire surgir des conflits, lesquels, comme l’on sait, sont un ressort essentiel du théâtre : les préjugés masculins et l’antisémitisme se heurteront à la passion féministe de la jeune juive ; le prolétaire s’opposera au bourgeois ; les militants du PCF et de la SFIO pourront s’allier provisoirement contre le nationaliste de droite ; le grand et la petite bourgeois(e) feront front contre le partisan de la dictature du prolétariat. Ainsi s’introduiront tout naturellement les principaux enjeux du débat politique en France pendant et autour de la deuxième guerre mondiale. On a toutefois du mal à voir en quoi cette analyse est censée éclairer la situation actuelle, laquelle s’inscrit dans un cadre complètement différent : les internationalistes ne sont plus les prolétaires mais les capitalistes, et ceux qui contestent l’ordre social existant, ceux qui sont donc les plus proches de ce que l’on pourrait appeler des révolutionnaires, ne se situent pas, pour la plupart, à l’extrême gauche mais à l’extrême droite de l’échiquier politique. Si, comme l’a fait Stéphane Hessel, rappeler les mérites du programme du CNR n’est sans doute pas absolument inutile, il y a loin d’un succès de librairie à la constitution d’une force politique authentique, en phase avec la situation objective de son époque. Les différences profondes, structurelles entre le début du XXIe siècle et les années 40 et 50 du siècle précédent renforcent encore la difficulté pour une pièce comme Partisans. Comment en effet « éveiller » ou « réveiller » le spectateur contemporain à partir d’une réalité obsolète ? Ne vaudrait-il pas mieux lui parler de ce qu’il connaît, de ce qu’il vit quotidiennement, plutôt que de lui raconter une belle histoire dépassée ?

À défaut de porter efficacement un message engagé, la pièce pourrait distraire, voire émouvoir. Elle n’y parvient que trop rarement et cela tient principalement à la faiblesse de l’intrigue, ou plutôt à l’absence d’une intrigue véritable. Malgré une interprétation honnête, on s’ennuie beaucoup, à cause des silences qui se prolongent indûment au début de la pièce, et encore parce que la présence de conflits ne suffit pas à faire du bon théâtre lorsqu’ils sont prévisibles et n’instaurent aucune tension dramatique. L’introduction d’une fausse scène de torture à la fin (les deux hommes se transformant tour à tour en tortionnaire l’un de l’autre) n’est en rien justifiée par ce qui précède et tombe à plat, de même que le « bon mot » de la fin mis dans la bouche de la comédienne.

Au Théâtre municipal de Fort-de-France, les 19, 20 et 21 mars 2015.

 

(1)    « Il n’y a pas de force intrinsèque de l’idée vraie ». Cf. Selim Lander, « Le théâtre et ses spectateurs », Esprit n° 403, mars-avril 2014, p. 219-225.