Parmi nous

Pour M.C.M.

— Par Patrick Chamoiseau —

Il faut l’imaginer parmi nos futilités ordinaires

Pas comme potomitan comme Man Ninotte ou la Baronne

plutôt comme une souveraineté sans assise dans la case

Elle était reine d’un territoire dont nul ne connaissait l’exacte géographie

mais dont les frontières, éprouvées par chacun, se révélaient dangereuses :

son lit était sacré

sa brosse inatteignable

et son peigne interdit !


 

Lui voir les mains dans le gras quotidien des vaisselles

ou les eaux du torchon

ne pouvait s’inscrire dans aucune coutume


 

Pas de pincements

Pas de calottes

Aucun souvenir d’elle ne nous conserve

la zébrure d’une sentence

rien qui

tombé d’une grande sœur

puisse d’une manière ou d’une autre vous rectifier la vie


 

Sur nos tables mémorielles

le souvenir ne maintient que cette bienveillance

légère ironique et distante

qui sans te laisser seul

te laissait libre

responsable de toi-même.


 

De cette présence énigmatique

auprès de cette tour de contrôle que tenait la Baronne

nul n’aurait pu déduire une quelconque prophétie

Il nous faudra la découvrir

toutes ces années plus tard

partout

là où l’urgence sociale, les injustices et les malheurs

avaient besoin

de cette distance qui organise

de cette parole qui met en œuvre

cette ferveur jamais lasse !


 

Miriel Chamoiseau-Marc


 

Voici l’alentour qui nous reste :

Les grandes valeurs de l’esprit mutualiste sont encore à défendre

Les générosités du monde des associations endurent toujours un manque d’oxygène

L’Alzheimer peut encore se répandre entre nos indifférences et nos passivités

Le décompte de ces enfants qui souffrent n’est jamais terminé

La solidarité, l’entraide et le partage

le souci de l’autre dans le souci de soi

confrontent encore chaque jour le risque du naufrage

et on voit que partout

dans les injustices, les misères et les précarités,

c’est encore l’ombre demeurée invincible qui assaille la lumière


 

Sombre tableau, tu vois : ta vie n’a pas suffi

Mille vies auraient été encore insuffisantes


 

Seulement, tout comme celle des bêtes-à-feu, ta vie nous fut précieuse


 

Tu savais que la compassion doit céder place à l’exigence

Tu savais que le refus de l’injustice n’a d’autre voie que les rigueurs du devoir-faire

Tu savais que l’ombre et la lumière sont une même force inextricable

Que l’on peut contenir l’ombre ou soutenir la lumière

tenir les équilibres sans jamais renoncer

mais que le plus important est surtout de comprendre

qu’en cette matière

la seule victoire qui vaille

toujours inaccomplie

est celle qui ouvre la vie d’un être humain à l’admirable, à l’élégance,

au triomphe sans spectacle dans les canevas de la beauté.


 

Mimi


 

Ta vie nous fut précieuse

Car si l’ombre est encore là, tu vois : elle ne triomphe pas !

L’espoir dont tu maniais le chiffre habite tout ce qui nous habite

L’innocence dont l’alchimie forgeait ton optimisme

distille en nous comme intraitable la ligne douce du possible


 

ce qui doit advenir

dans la circulation en devenir des jours

c’est l’admirable de ta vision maintenue malgré tout

C’est l’intention pleine d’élégance, précipitée des rêves, peuplée des innocences

C’est la lucidité risquée sans amertume au plus près du soleil

C’est l’agir le plus vaste dans la masse du réel

Et c’est enfin

le maré-ren’w

l’action qui n’ordonne pas

mais qui soulève, qui nous élève, et qui libère infiniment.


 

Patrick CHAMOISEAU

27 06 2019