Olivier Py et François Cervantès aux prises avec l’univers carcéral

— Par Dominique Daeschler —

Chacun l’aborde à sa façon. Depuis 2014 Olivier Py conduit un atelier de création avec Enzo Verdet au centre pénitentiaire du Pontet. Après Prométhée enchaîné, Hamlet est répété, joué l’an dernier dans le cadre de la prison et cette année au festival dans le salon de la mouette dans le cadre prestigieux de la Maison Jean Vilar pour trois représentations données, vu la petite jauge, à une poignée de spectateurs tirés au sort. Les détenus ont choisi Hamlet le révolté qui affronte l’autorité, la loi et le pouvoir et clame l’effondrement du politique. Hamlet impuissant à agir sur le monde se réfugie dans le théâtre. Le pont était lancé. Sur une scène dépouillée à l’extrême (une toile peinte en fond de scène et se déroulant au sol), Hamlet est empoigné à bras le corps et chacun joue sa partition avec un verbe qui sonne, vibre. Ces voix qui s’entendent, s’écoutent redonnent vie aux corps grandis par la dignité de la verticalité. Force des mots qui à travers le lien social introduisent le jeu avec des gestes à soi et de temps à autre des mots repères comme délinquant, petite pute, vieux con, pourri. Le découpage fait par Py implique le mouvement, une rotation rapide des acteurs qui facilite l’adresse au public en théâtralisant dans l’esprit de la tragédie grecque. La maitrise du texte et la diction impressionnent. La joie de jouer et de rencontrer un public attentif émeut. Chapeau bas à Choukri, Hakim, Jean Michel, Maamar, Paulu Andria, Pierre Eric, Sylvain Yannis, Youcef.
François Cervantes, lui, a mis en place avec le même établissement pénitentiaire en 2012 une correspondance avec plusieurs détenus et bâtit son spectacle Prison possession, où il est seul en scène sur l’échange épistolaire qu’il a eu avec Erik. En noir, dans une boîte noire, il raconte avec pudeur son rapport aux mots, l’envie d écrire pour parler, pour rencontrer l’autre enfin qu’ « à travers eux, le ciel et la terre se touchent ». Ce désir, il le porte en prison qui paralyse son imagination. Il ne peut pas écrire de fiction : la voix d’Erik se détache, cet « oiseau qui veut prendre l’avion au lieu de voler ». Comment faire, Il ne raconte que la prison, aucune histoire, comment le dire ? Erik se tait, prépare une évasion. Son corps est décousu. Un moment, il se rêve aux côtés de François : « j’aimerais bien savoir ce que c’est que ces mots que je vous dis et que vous entendez, pour m’en souvenir quand je me réveillerai dans ma cellule ». L’évasion rate et c’est la cellule d’isolement. François Cervantès dit, face au public, dans une langue sobre, l’échange et la seule liberté qu’il peut donner à Erik : entrer dans le texte avec les mots qui manquent, ceux de la poésie.
Deux façons d’aborder la souffrance de l’incarcération et sa violence : l’affrontement mise en jeu et la distance attentive. Les mêmes conclusions sur l’injustice sociale qui conduit en prison. Une prison qui détruit, durçit, humilie, ne sert à rien.

Dominique Daeschler