Nul n’est méchant volontairement (Socrate)

Par Roland Tell —

Pourquoi certains jeunes lycéens choisissent-ils la voie de la violence ? Est-ce un choix délibéré ? Le fait de braquer un revolver factice sur la tête d’un professeur femme, est-ce de la violence ludique, pour impressionner ses camarades, telle une « épiphanie » de l’égo, offerte à toute la classe ? Une certaine manière de crier son amour de soi : « Je ne suis comme aucun de vous, j’existe, et je vis libre, même au lycée ! »

A l’égard de la communauté éducative, la répudiation de la civilité, en pareil cas, n’est pas un accident de parcours, et, dans une large mesure, elle ne correspond qu’au choix implicite du jeune lycéen de rendre sa violence nécessaire et légitime, aussi bien tant à l’extérieur qu’au sein du lycée. C’est ainsi qu’avec une somme de force et de courage, il a choisi de mettre en œuvre sa liberté, même au prix de représailles, du type « œil pour oeil ». N’est-ce donc pas qu’à ses yeux il accomplit là une fonction héroïque, par rapport à soi – héroïsme frauduleux de son égo, centré sur lui-même, désormais regardé par tous, en classe, au lycée, dans la société, comme image d’un « barbare », plus soucieux de construire sa vie, dans les désordres de l’émotion brute, de l’émotionalisme. D’où le plaisir pris à se jouer dans l’indépendance individuelle, vers une destinée, désormais pleine d’imprévus, de périls. N’est-ce pas là les caractéristiques d’une non-entrée dans la société lycéenne ? Alors que faire ? Faut-il mettre un gendarme derrière chaque élève de ce type ?

L’intervention de « l’aspect système » de l’Éducation s’avère ici nécessaire. Celle-ci change complètement l’idée que l’on peut avoir des relations avec les élèves, avec les parents, avec la société. Il ne saurait y avoir d’innovation, ni de réponse, toutes seules, sans intervention avec le système éducatif lui-même, y compris le système administratif. Par conséquent, on ne saurait se limiter à une ou quelques classes isolées du Second Degré. D’où, dans cette perspective, le recours à la psychologie éducative dans son ensemble. Qu’est-ce donc ? C’est l’application systématique des ressources de la connaissance scientifique à l’ensemble des procédures requises, pour communiquer et contrôler les connaissances et les savoir-faire. Cette application tend peu à peu à englober toutes les composantes du système éducatif. Elle implique la redistribution complète des fonctions des enseignants, de l’organisation hiérarchique, des rôles et des attitudes, des modes d’appréciation. Elle révèle l’enseignement sous un aspect, qui n’est toujours pas connu : celui de système. Quand on dit, par exemple, qu’une rénovation pédagogique, en tant que telle, en elle-même, est impossible, parce qu’elle ignore « l’aspect système » de l’enseignement, on veut dire par là, qu’elle pose une transformation des attitudes du professeur vis–vis de ses élèves, sans voir que c’est corrélatif d’une transformation de l’Administration, vis-à-vis de ses administrés, des parents vis-à-vis de l’établissement scolaire, des syndicats, de l’architecture, des bâtiments, etc.. Il y a tout un « aspect système », qui n’est pas maîtrisable par la rénovation ou le changement, et il n’est pas possible de le maîtriser justement, parce que, à travers le système éducatif, une nouvelle prise de conscience apparaît devant une nouvelle jeunesse, et de nouvelles conditions faites à l’École, au Collège, au Lycée, et parce que, d’autre part, le système éducatif met 15 ou 20 ans pour intérioriser une structure, et qu’ensuite pendant 20 ou 30 ans, il la maintient, en résistant aux changements du monde extérieur.

Le système éducatif est à la fois institué et instituant, mais avec un temps de retard. La rénovation peut surgir en tel ou tel point du dit système, et ces points peuvent ensuite chercher à se rejoindre à travers des structures qui sont liées. Il ne faut pas être pressé, mais il faut chercher à voir où cela nous conduit !

Outre tout ce qui précède, on a, par ailleurs, tendance à examiner l’idée de la revalorisation des rapports humains sous l’angle de la relation professeurs-élèves, mais en réalité, elle a une portée beaucoup plus générale. Rappelez-vous Mai 1968 ! La réaction de la jeunesse d’alors n’était pas simplement un problème scolaire et universitaire. La perte du pouvoir éducatif englobait indistinctement les professeurs et les parents, et surtout chez ceux qui se croyaient investis d’une autorité à caractère fondamentalement sacré. D’où les oscillations absurdes entre la répression et le laisser-faire, entre la dureté et la servilité. Il y avait, dans cette dynamique, un peu de « paternalisme » qui englobait, dans un même mouvement, et l’autorité des adultes à l’égard des jeunes, et l’autorité du patronat à l’égard des travailleurs, et l’autorité de la force publique à l’égard des individus, et l’autorité des forces de conditionnement social de politique à l’égard de la spontanéité individuelle. C’est ce caractère totalisant de ce mouvement, qui a déterminé son échec, car, en travaillant ainsi sur tous les plans, il excluait la médiation concrète et la stratégie : il plaçait ainsi toutes les forces du pays même devant des alternatives vertigineuses, et impossibles à convertir opérationnellement en action effective. Il fallait découvrir donc les véritables dimensions d’une crise éducative, sociale, et culturelle, qui a trouvé, dans le lycée en question, un secteur privilégié d’expression, certes beaucoup plus général. Il faut donc découvrir les forces profondes, qui soutiennent, pour tout le système, et au sein du système, la recherche de solutions, et surtout maintenir vivantes la lucidité, l’imagination, et l’attention au réel. Cet effort de recherche de solutions s’appelle le dialogue. C’est son instauration, qui est le véritable objectif de tout changement. C’est lui, qui rétablit l’unité entre les options proprement pédagogiques, et les transformations structurelles, obligeant à prendre des responsabilités à l’égard de l’établissement d’éducation : les parents, les élèves, les enseignants, les pouvoirs publics, et les forces collectives. Il n’y a pas d’autre solution, parce qu’on introduit par là l’adaptabilité permanente du système éducatif, d’autant que le dialogue détermine une maturation, qui dépasse toujours la signification des problèmes posés, et qui transforme les partenaires peu à peu en élargissant leur structure de compréhension. De sorte que le dialogue est en même temps un instrument d’éducation, et un instrument opérationnel. Les professeurs ne peuvent plus éduquer les enfants et adolescents tout seuls ! D’où une rigueur doctrinale très forte, et une nouvelle conception du métier, s’appuyant sur l’aspect « système » de l’éducation, mais vue sous l’angle d’un véritable dialogue avec la jeunesse – dialogue orienté vers le souci d’offrir les conditions optimales de l’autonomie d’apprendre.

ROLAND TELL