« Monchichi » : un enchantement !

— Par Roland Sabra —

monchichi-2Elle s’appelle Mme Wang et lui M Ramirez. Elle est allemande par son père et coréenne par sa mère. Il est né français de parents ibériques parlant catalan et castillan. Elle est ballerine. Il danseur de breakdance ( b-boy). L’une et l’autre vivent dans deux univers que beaucoup de choses séparent. Mais Cupidon est capricieux. Ils tombent follement amoureux l’un de l’autre et vont donc s’inventer un monde à eux, rien qu’à eux. Enfin pas tout à fait puisqu’ils vont nous en faire part, nous invitant à le visiter. Cette langue commune qu’ils créent n’est pas un entre deux, n’est pas un syncrétisme, un mélange hétéroclite, un migan. Elle n’est pas un pot-pourri de ballet et de breakdance. Elle puise dans ce courant de la danse expressionniste né sous la République de Weimar dans les années vingt du siècle dernier et que l’on appelle le Tanztheater. Le terme et le mouvement qu’il désignait avait disparu avant de ressurgir dans les années 80 pour identifier par exemple le travail de Pina Bausch et de ce qu’on a appelé de façon plus générique la nouvelle danse française. La traduction de Tanztheater en danse-théâtre peut prêter à confusion car il ne s’agit ni de théâtre dansé, ni de danse jouée. Il y a fusion entre la ligne musicale suggérée par la danse et la possibilité d’une expression dramatique propre au théâtre. Les moments parlés le sont très clairement, dans des poses qui font rupture avec ce qui les a précédées. La première prise de parole par exemple, qui émane du danseur sonne comme un coup de canon, surprend une partie du public.

Monchichi invente un langage qui dit l’isolement, l’enfermement dans des identités pré-construites et divergentes mais aussi le désir d’y échapper. Aux mouvements harmonieux de l’une s’opposent le staccato, le geste mécanisé de l’autre dans le morcellement des corps surajouté à leur altérité constitutive. La rencontre semble impossible et pourtant elle aura lieu. Elle se fera à partir de leurs identités conservées. Accueillir l’autre ne suppose en rien l’abandon de ce que l’on est.  M. Ramirez et Mme Wang au delà de tout ce qui les différencie, de tout ce qui les sépare, de tout ce qui les oppose, vont inventer sur le plateau un langage nouveau qui par la vérité et l’authenticité qui le fonde  sera  un langage universel que tout un chacun pourra comprendre et partager. Le propos est une célébration du multiculturalisme empreinte d’humour et d’auto-dérision. On s’amuse beaucoup durant la petite heure du spectacle.

Les danseurs font preuve d’un professionnalisme de haute volée dans lequel le synchronisme, la précision millimétrique du geste, sont au service d’un esthétisme fort bien souligné par une scénographie dépouillée qui se résume à un arbre, que tout un chacun reconnaît comme un clin d’œil au Beckett d’  « En attendant Godot » et un travail sur les lumières de toute beauté. Mais si Godot ne vient jamais, la rencontre, elle, est venue. Rencontre sur le plateau mais aussi avec le public martiniquais qui s’est enthousiasmé et qui l’a fait savoir par une longue ovation.

 

R.S.

le 08/11/2016

Dernière modification le 13/11/2016