Moi, Halim Abdelmalek, j’ai été assigné à résidence pendant deux mois, accusé à tort

assignation_resistancePour la première fois depuis la mise en place de l’état d’urgence, le 14 novembre, le Conseil d’Etat a suspendu, vendredi 22 janvier, un arrêté d’assignation à résidence. Il visait Halim Abdelmalek, assigné depuis le 15 novembre 2015 à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), soupçonné par le ministère de l’intérieur d’avoir fait des repérages autour du domicile d’un membre de l’équipe de Charlie Hebdo, d’appartenir « à la mouvance islamiste radicale », et d’avoir été « mis en cause » dans une affaire de trafic de véhicules. Trois motifs pour lesquels le Conseil d’Etat a considéré que le ministère de l’intérieur n’a pas pu prouver les faits reprochés.

Français au même titre que les autres mais accusé injustement d’être une menace, j’ai dû faire face aux pires soupçons. Jamais je ne pourrai oublier certains regards suspicieux. Moi aussi je condamne le terrorisme, bien sûr, mais je rêve du jour où les Français musulmans seront dispensés de le faire.

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Des échanges violents

Devant le Conseil d’Etat, les deux audiences se sont déroulées de façon surréaliste. Ma liberté dépendait exclusivement de « notes blanches » produites par les services de renseignement – c’est-à-dire anonymes et non sourcées –, sans aucun autre élément, si ce n’est des photographies sur lesquelles j’apparaissais en train d’attendre mon épouse à deux pas de l’appartement de ma mère. Les échanges ont été violents. Nous devions, avec mes avocats, renverser le soupçon qui faisait de moi une « menace à l’ordre public », contre une représentante du ministère de l’intérieur qui campait sur ses positions en se réfugiant derrière les « notes blanches ».

D’impuissance ensuite, parce que l’assignation à résidence est une décision qui tombe de très haut, sans prévenir. Il faut trouver l’énergie de la contester, en ayant le sentiment de s’attaquer à Goliath, à l’Etat. C’est aussi préparer sa défense en ne pouvant pas quitter son domicile, en devant pointer au commissariat trois fois par jour, parmi les délinquants et les criminels, en expliquant à ses enfants pourquoi papa est maintenant « tout le temps-là », c’est passer plusieurs nuits en garde à vue parce que vous êtes arrivé en retard de quinze minutes après avoir pourtant prévenu le commissariat.

J’ai supporté en silence, en pensant à ma famille et en tirant ma force de mes valeurs. J’ai fait confiance à mes avocats, William Bourdon et Vincent Brengarth, auxquels je tiens à rendre hommage.

Sans que je me l’explique, la suspension de mon assignation m’a réconcilié avec moi-même. Mon attachement aux valeurs de la France est encore plus fort qu’avant. Je n’en veux à personne, mais j’ai peur. Peur car cette décision aurait pu remettre en cause mes convictions, car le ressentiment aurait pu l’emporter, car de telles sentences peuvent nous monter les uns contre les autres. Tout le monde n’a pas la force de résister. J’ai peur pour ces milliers de jeunes que de telles décisions ont pour effet de stigmatiser. J’ai peur pour les autres assignés à résidence. L’Etat doit veiller à ne pas se faire des ennemis dans son propre camp, à faire de l’immigré, du musulman, un bouc émissaire.

Je ne cherche pas à revendiquer le fait d’être musulman, mais il m’est difficile de croire que cette assignation est sans lien avec ma religion. Une démocratie telle que la France ne peut discriminer de façon arbitraire au prétexte qu’elle lutte contre le terrorisme, et que les terroristes prétendent agir au nom du Coran. De telles décisions favorisent l’amalgame entre musulmans et terroristes. Les millions de musulmans français condamnent le terrorisme. Ils ne devraient pas avoir à le faire. Les terroristes ne sont les représentants que d’eux-mêmes.
Des décisions arbitraires

C’est pour ces raisons que j’écris aujourd’hui : non seulement parce que j’en ai besoin, mais aussi parce que…

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