« Miente » ou la vérité de la création


— Par Roland Sabra —

« Miente »

Art et transgression, telle semble être la thématique développée dans le film « Miente » qu’un jeune réalisateur Porto-ricain, Rafi Mercado est venu présenter au CMAC le 09 juin 2011. Voyons l’histoire qui est une libre adaptation d’un roman de Javier Avila, «  Different », avec un scénario écrit par José Ignacio Valenzuela. Un jeune boutiquier d’un magasin vidéo Henry ( Oscar Guerrero) mène la nuit dans on appartement une vie secrète, tournée vers lui-même. Introverti, il dessine et il peint comme pour donner figure à ses fantasmes. Un repli sur soi qu’illustre l’ouverture du film, à savoir une séance de masturbation sous la douche. Très vite on le voit partir dans des rêvasseries suggérées par son dessin d’une femme au corps entièrement tatoué. A partir de là le réalisateur nous engage dans une étrange dérive entre délire et réalité. En effet Henry ne tarde pas à rencontrer dans son magasin une belle cliente pas mal déjantée, Paula ( Mariana Santangelo) au corps tatoué comme par hasard et  dont il s’empressera de peindre tout l’épiderme comme une réplique, un double vivant de son dessin. Un troisième personnage intervient lors d’une agression urbaine sous la forme d’un bandit de rue, Diff, raccourci de Different, rôle tenu par Frank Perozo). Paula et Diff ont pour fonction dans le film de déstabiliser Henry, de le conduire à une mise en question de sa façon de voir le monde, l’une en lui racontant ses amoures antérieures et notamment lesbiennes, et l’autre en l’entrainant dans des coups de plus en plus tordus mais toujours en dehors de la légalité.

La question implicite posée par le film est donc celle-ci : à quelle condition est-il possible de faire œuvre de création, ou plus exactement qu’est-ce qui fait que certains artistes sont artistes. La réponse suggérée est limpide : celui qui ne renonce pas sur le chemin d’un désir noué dans l’enfance peut devenir créateur artistique. Des images d’une très grand force jettent à la face ébahie du spectateur cette évidence. Après une scène d’amour entre Paula et Henry celui-ci, près d’une baignoire, se recroqueville en position fœtale sous le regard attendri et déjà maternel de son amante. La mère d’Henry, personnage secondaire à la libido un peu gluante vis à vis de son fils, passera le relais à Paula dans une scène ou elle ne s’efface qu’à reculons devant la maitresse ainsi intronisée nouvelle gardienne de l’enfant-créateur. Ne pas céder sur son désir, c’est donc être capable de braver les codes dominants qu’ils soient sociaux, artistiques ou sexuels, d’où bien sûr ce fil d’Ariane de l’homosexualité, rebaptisée ici métro-sexualité. Ligne de force d’un portrait assez fidèle du milieu artistique. Faire acte de création suppose en effet de sortir des sentiers battus. L’homosexualité n’est certes pas la condition sine qua non de l’art ! Il ne suffit pas d’être homosexuel pour être créateur mais revient avec une régularité supérieure à celle du reste de la société une tendance à ce type de choix d’objet sexuel dans ce milieu.

Pour qu’une telle thématique un peu rebattue puisse susciter l’attention il faut un savoir faire cinématographique que Rafi Mercado tire de son passé de réalisateur de clips vidéos publicitaires. La maitrise des jeux visuels, des flashbacks, des fondus enchainés, un goût prononcé pour une plastique qui emprunte sans retenue au street-art avec une bande son plus rock que blues même si le bleu domine sur l’écran, sont les outils que le réalisateur puise dans le monde qui l’entoure et qui nous cerne. L’étourdissement, la perte de repères entre l’illusion et la réalité, entre le monde vrai et celui de la déraison, le tourbillon qui emporte les personnages est restitué jusqu’à l’essoufflement du spectateur qui par moment aurait tendance à demander grâce, pour peu qu’il ait compris assez vite le propos du cinéaste.

Comme tous les artistes dans leurs premières œuvres Rif Mercado a donc tendance à en faire un peu trop mais ce trop-là est au service d’un dessein (!) qu’il s’efforce de ne pas perdre en chemin même s’il est plus d’une fois sur le fil du rasoir.

Après les docus gnangans de la soirée EKoclap le 08/ on avait bien besoin d’un film. C’est fait.

Roland Sabra le 10/06/2011

Comédiens: Oscar Guerrero, Mariana Santangelo, Perozo Frank, Anders Maine, Yamil Collazo

Directeur: Mercado Rafi

Scénariste: José Ignacio Valenzuela

Basé sur le roman de Javier Avila

Producteurs: Ciena Ileana, Fritz Sonia, Frances Lausell

Producteur exécutif: Eric Mathis

Directeur de la photographie: PERSONNEL Valezquez

Production designer: Rafi Mercado, Mailara Pomales Santana

Musique: Mercado Geronimo

Concepteur des costumes: Angie Olmedo

Éditeur: Sanchez Merchand Raul

Durée 85 minutes