Martinique : une crise politico-financière à hauts risques

—Par Jean-Marie Nol, économiste financier —

crise_politico_fiCrise politico-financière des collectivités locales, conflits sociaux à répétition : un enchaînement à hauts risques pour la Martinique

Vent debout contre le patronat, le syndicat reste fidèle à la stratégie qui est la sienne depuis sa création : être une force d’opposition plus que de proposition. En mettant en avant le rapport de forces et en privilégiant la contestation plus que la proposition, le mouvement syndical en Martinique se veut fidèle au message des pères fondateurs du syndicalisme à savoir l’action anarcho-syndicaliste, pratiquant une rupture avec le capitalisme colonialiste, mais sans directive ou convergence avec un parti politique. La radicalité sociale que nous vivons, exception dans une économie mondialisée, n’est pas un phénomène nouveau dans ses principes en Martinique. Elle est la résurgence, avec les mots et les techniques, d’un vieux fond syndical et politique révolutionnaire qui prend racine à la naissance même du mouvement syndical, au début du XXème siècle. Le chemin pour arriver à la victoire contre le “colonialisme ” est tout simplement la sensibilisation au phénomène d’exploitation capitaliste d’une frange de la population à l’aide d’un discours mâtiné de nationalisme et de culturalisme.

Depuis plusieurs mois, la Martinique qui a pris en cela le relais de la Guadeloupe connait un front social agité avec des conflits à répétition dans les entreprises et qui ont pour conséquence la radicalisation des acteurs sociaux et son corollaire l’individualisme et la solitude accrue d’une frange non négligeable de la population. Notre société Antillaise connaît une crise d’identité sans pareille où l’individualisme et la solitude règne en maître, et au sein de laquelle l’homme ne peut s’empêcher de ressentir un vide et une solitude au goût amer, un vide qu’il tente de combler solitairement à travers une société de plaisirs et de consommation… L’individualisme est-il le fruit amer que l’on récolte suite à la montée du matérialisme et du consumérisme ?

La mondialisation, si elle n’en est pas la cause unique, est un facteur non négligeable de l’accroissement de la crise du soi, le moi Antillais qui se retrouve balloté dans un monde qu’il ne reconnaît plus et dont il ne perçoit plus les limites et les contours. Perdu socialement, culturellement, cultuellement et idéologiquement, l’homme Antillais se repli sur lui-même, il se protège d’un univers extérieur qu’il ne cerne plus, et qui le plonge dans un brouillard épais de doutes et de peur, d’ou la poussée de fièvre sur le front syndical. Mais cette réaction qui débouche inéluctablement sur le culte du moi ou du « soi », n’offre pas une solution de sécurité et de bien-être dans une société hétéroclite, d’ou le phénomène accrue de solitude que l’on constate chez une frange importante de Martiniquais et Guadeloupéens.

Demain, serons-nous tous des vieux solitaires confrontés à la précarité, la pauvreté et la violence ?

Vivre seul et en situation de précarité en Martinique et Guadeloupe, est de plus en plus fréquent. ..

Un brin de solitude s’est emparé de la population Antillaise au comportement de plus en plus individualiste… La société de consommation vient-t- elle contribuer à ce phénomène ?

Le nombre de personnes vivant seules en Martinique et Guadeloupe a plus que doublé depuis 1980 et cette tendance devrait s’accentuer dans l’avenir, selon une étude de l’INSEE.

Avant 20 ans, le taux de personnes vivant seules reste marginal. Il s’accroît entre 20 et 24 ans pour approcher les 20 % et diminue ensuite pour atteindre 15 % entre 40 et 54 ans. La proportion remonte ensuite du fait des séparations et des décès. Entre 25 et 50 ans, on compte davantage d’hommes seuls que de femmes, mais à partir de cet âge ce sont beaucoup plus souvent les femmes qui sont concernées ; Un Guadeloupéen sur six (18 %) vivait seul en 2015 comparativement à 6% il y a 40 ans. Les femmes sont beaucoup plus touchées par le phénomène en Martinique.

Et ce, malgré que la proportion des hommes ait connu une plus forte hausse, ayant triplé de 1982 à 2015 alors que celle des femmes a doublé. Celles qui résident le plus souvent seules sont les cadres. C’est l’unique catégorie sociale pour laquelle la part de femmes seules a augmenté. Avant 40 ans, les femmes cadres résident davantage en couple qu’en 1990 et ce sont désormais les ouvrières et employées qui vivent le moins souvent en couple, notamment parce qu’elles sont plus fréquemment mères de famille monoparentale. Après 40 ans, ce sont les femmes cadres qui habitent le moins souvent en couple ; à partir de cet âge, elles sont presque aussi souvent mères de famille monoparentale que les ouvrières et employées. C’est symptomatique d’une génération qui souffre d’une solitude affective conséquence d’une société de plus en plus désarticulée.

Le fait de se sentir seul a maintenant une explication scientifique. Selon certains chercheurs qui se sont penchés sur la question, il arrive souvent à certaines personnes d’avoir l’impression d’être abandonné, c’est ce qu’ils qualifient d’être victime d’une « spirale négative ». Un cercle vicieux se met alors en place.

Les gens qui se sentent isolés viennent à redouter de mauvaises expériences sociales. Ils vont ainsi perde foi en la possibilité de rencontrer des gens qui deviendront leurs compagnons ou amis. Une fois seul, leur cerveau entre dans une phase d’auto-préservation, un processus qui met en alerte la personne face une rencontre potentielle.

Il n’y a pas si longtemps, vivre seul signifiait soit être veuf, soit être vieille fille. Une situation qui concernait donc principalement les plus de 40 ans. C’est loin d’être le cas aujourd’hui. Les jeunes sont de plus en plus nombreux à vivre seuls.

Cela s’explique notamment par le recul de l’âge auquel les jeunes s’installent en couple. Entre le moment où ils quittent leurs parents, et le moment où ils se mettent en ménage, ils passent un moment de transition en vivant seuls. Le dicton « mieux vaut être seul que mal accompagné » semble être devenu le leitmotiv des nouvelles générations.

Trois grandes catégories de personnes vivant seules sont distinguées:

– Les jeunes, qui forment des couples plus tardivement, sont deux fois plus nombreux qu’en 1982 à vivre seuls; les femmes quittent plus tôt le foyer parental: environ 20% d’entre elles demeurent seules vers l’âge de 20 ans;Le premier élément d’explication est lié à l’allongement de la jeunesse. Un nouvel âge de la vie s’est développé, entre le départ du domicile des parents et la formation d’un nouveau couple, lié à l’allongement des durées de scolarité et aux difficultés d’insertion dans le monde du travail. La part de jeunes résidant seuls a doublé entre les années 1960 et la fin des années 2000.

– Les adultes qui connaissent plus de ruptures conjugales; à 40 ans, 15% vivent seuls. L’instabilité croissante des couples joue. Entre 30 et 50 ans, la part de personnes seules est plus importante chez les hommes : même s’ils se remettent plus souvent en couple, ceux-ci ont rarement la charge des enfants. Chez les femmes, cet effet se fait sentir après 45 ans, avec le départ des enfants vivant au domicile de leur mère seule.

De plus en plus de séparations en Martinique et Guadeloupe. ..Pourquoi ce phénomène qui entraîne la solitude ?

Entre 30 et 50 ans, c’est la hausse du nombre de ruptures qui explique le taux croissant de célibataires. Le nombre de mariages qui se terminent par un divorce est de plus en plus important : 35 % actuellement selon l’Institut national des études démographiques (INED) et pratiquement une union sur deux dans certaines grandes villes. En Guadeloupe, la proportion est de quatre mariages pour un divorce, contre quinze pour un il y a quarante ans. Et les divorcés ou séparés ne se remettent généralement pas en couple aussitôt.

– Les personnes âgées qui, avec l’allongement de l’espérance de vie, connaissent fréquemment le veuvage et le divorce et veulent très majoritairement vivre chez elles. Mais à partir de 50 ans ce sont beaucoup plus souvent les femmes qui sont concernées. A 80 ans, 65 % des femmes vivent seules, contre 20 % des hommes. Ce nombre est appelé à augmenter massivement, et « le besoin d’aide au maintien à domicile va exploser et obliger à reconsidérer l’approche de la prise en charge du vieillissement.

En Martinique et Guadeloupe, le réseau est le plus souvent construit autour des sociabilités familiales (41 %) et des relations amicales (30 %) et plus rarement autour des relations de voisinage (13 %) ou professionnelles (4 %). La pauvreté qui s’accroît est un facteur de solitude et constitue une situation de handicap, elle multiplie par 3 le risque de solitude; dans une situation de divorce ou de veuvage, elle le multiplie par 2.

« L’insertion durable dans la vie sociale repose en grande partie sur la capacité des individus à diversifier leur vie sociale », commente l’étude de l’INSEE. Or, les personnes pauvres ont plus de difficulté à développer plusieurs réseaux de sociabilité, ce qui les rend plus vulnérables. Seules 21 % des personnes pauvres ont au moins 3 réseaux différents de relations, contre 36 % dans l’ensemble de la population.Si les chiffres parlent d’eux-mêmes, on peut en revanche se poser la question du choix : vivre seul est-il un choix délibéré, ou à l’inverse un mode de vie subi ?

Ce phénomène de solitude est en partie provoqué par une société individualiste, suite à l’émergence de nouveaux services, de nouveaux modes de consommation, de nouvelles tendances…

En effet, comme l’exprime clairement la sociologie, la société dans laquelle nous vivons est « une société aliénante et déshumanisante ». Ce qui est selon nous dû à deux facteurs complémentaires : l’accélération des rythmes dans tous les aspects de notre vie et la transformation de tout être en objet de consommation.

En effet, nous sommes dans une société où il faut tout faire, tout visiter, tout expérimenter pour rentrer dans le moule, pour être tendance.

Et la réalité est aussi flagrante que cela, les martiniquais et guadeloupéens d’aujourd’hui ont une vie instable, aussi bien dans leurs relations amoureuses ou amicales, qui peuvent s’effacer aussi vite qu’elles se sont tissées… Tout devient éphémère.Ce phénomène est né parce qu’il y a une faille sociétale !

Les règles du jeu de la société martiniquaise et guadeloupéenne ont changé et ont conduit à la situation suivante : Des politiques désarmés et divisés, des syndicats de plus en plus virulents et déterminés comme on le voit encore avec la grève qui affecte le secteur de l’eau en Guadeloupe ou la grande distribution en Martinique, des citoyens adultes déboussolés et des jeunes en manque «d’estime de soi».

En fait,nous sommes en train de vivre une période de crise voire de césure au sein de la société Antillaise ou de nombreux codes ont changé. : «Une évolution notable est venue déstabiliser les institutions et les familles Antillaises: nous sommes passés d’une société de règles, où les adultes passaient des ordres aux jeunes, et où les hommes tenaient en coupe réglée les femmes, , à une société de normes plus ou moins explicites.De plus la femme Antillaise a changée de comportement et assume désormais sa liberté par rapport à l’homme. Chacun a donc perdu ses repères. Les femmes et les ados ont gagné en liberté, mais ressentent en même temps des angoisses nouvelles car ils ignorent contre qui ou quoi se heurter…La génération des adolescents de Guadeloupe d’aujourd’hui est souvent présentée comme inconsciente, désenchantée, paresseuse et dépendante des objets plus que des liens. Quant aux parents, ils ne savent pas gérer leur rôle dans cette période de mutation, d’où l’explosion de plus en plus importante des couples avec entre autre comme conséquence le mal être des jeunes ! Autre obstacle sur le chemin de l’épanouissement des couples et des jeunes aux Antilles: le manque de confiance en l’autre. Aujourd’hui, toute la société semble trouver normal de vivre des périodes de célibat et nous sommes peut-être entrés dans une ère où la solitude, sous diverses formes, va devenir la norme et la convivialité l’exception. Les liens familiaux traditionnellement forts au sein de la société antillaise sont considérablement altérées et posent de nouveaux défis à la société … Cette propension à l’individualisme des guadeloupéens est lié à ce contexte socio-historique mortifère ( est–ce une cause ou une conséquence ? ) et donc à la persistance dans le champ sociétal en Guadeloupe d’ une difficulté à faire confiance aux autres, ce qui les amène à peu de propension à travailler en groupe. Ils ne connaissent de véritable solidarité que dans une perspective émotionnelle de résistance, à tort ou à raison, face à l’injustice.

La relation d’autorité est en effet vécue de façon très ambiguë par les Antillais, d’ou une réelle difficulté de manager avec efficacité les hommes aux Antilles.

Le phénomène le plus évident est celui du rejet peu ou prou déguisé de la discipline hiérarchique ou de la notion de chef de famille. Ils considèrent qu’ils ne doivent pas s’incliner devant la volonté personnelle jugée humiliante du chef ou pour les femmes de la volonté de l’homme considéré encore à tort ou à raison comme étant le chef de famille ; ce qu’ils ou elles font, ils le font de leur propre volonté et en particulier ils accomplissent leur vie en dehors de toute obligation forcée. Ils s’efforcent de montrer qu’ils vivent et travaillent non parce qu’ils y sont obligés, mais parce qu’ils choisissent de le faire. De ce fait, on peut en conclure que le type de mode de vie de l’homme aux Antilles doit gérer en priorité l’irrationnel car la société Antillaise n’est pas imprégnée de cartésianisme, et éviter, autant que faire se peut, la relation de force, mais au contraire, répondre à un besoin de sécurité et d’appartenance. Chaque crise du couple présente un risque et met souvent le socle familial en péril. Il faudra, dans l’avenir, aux femmes guadeloupéennes et martiniquaises une grande lucidité sur elles mêmes et sur la nouvelle donne socio–économique qui est en train de s’ouvrir à l’horizon 2017, et une bonne maîtrise de leurs rapports de force avec les hommes pour ne pas succomber au « paradoxe d’Icare » : Selon la mythologie grecque, Icare, le héros légendaire aurait volé si haut et si près du soleil que la chaleur aurait fait fondre ses ailes de cire, le précipitant vers la mort dans la mer Égée. La puissance de ses ailes avait donné naissance à la désinvolture qui devait le perdre. Le paradoxe, bien sûr, vient du fait que son principal avantage se soit finalement avéré la cause de son échec. L’essence même de ce paradoxe s’applique encore aujourd’hui aux femmes guadeloupéennes : leurs victoires et leurs méthodes radicales pour s’imposer face aux hommes qui ont fait leur force d’antan les conduisent à des excès et à un manque de clairvoyance sur les nouveaux enjeux de la crise sociétale en Guadeloupe. Qui sera plus particulièrement touché par la récession économique et la violence sociale ? Les femmes retraitées et les femmes seules et surtout les jeunes seront particulièrement concernées

Cette politique touchera plus particulièrement les personnes les plus modestes et les femmes, car leur revenu dépend en Guadeloupe davantage que celui des hommes des prestations sociales. Les femmes retraitées seront particulièrement concernées par un gel des retraites, car ce sont elles qui forment le gros du bataillon des petites retraites. Cette politique touchera aussi les fonctionnaires, pilier du moteur de la consommation en Guadeloupe avec les 40%. Le point d’indice des fonctionnaires, par ailleurs de moins en nombreux en Guadeloupe, n’a guère augmenté depuis le début de la crise financière de 2008 et a été gelé en 2011, 2012, 2013, et 2014 alors qu’il est normalement révisé chaque année pour s’adapter à la hausse du coût de la vie. Là aussi, les femmes seront particulièrement touchés car elles représentent 60 % des emplois de la fonction publique et para publique en Guadeloupe et Martinique.

En vérité, Il faut sortir des idées fausses. On entend souvent dire que la France sera au rendez – vous quoiqu’il arrive ! C’était vrai, il y a encore peu mais actuellement avec la crise à venir en 2017 induite par le programme économique et social ultra-libéral de la droite en passe de gagner les élections présidentielles, ce postulat va s’avérer complètement obsolète. Or on sait que la consommation est le principal moteur de la croissance en Guadeloupe et plus encore en Martinique. L’endettement d’un ménage n’est pas toujours source de revenus futurs, surtout si cet endettement vise la consommation. Les dépenses de l’État à l’inverse peuvent être productives, elles sont une manière de soutenir l’économie, et elles sont sources de recettes futures. Il faut défendre la dépense publique en Guadeloupe qui a des fondamentaux économiques différents de ceux de la France métropolitaine : elle soutient la demande, elle soutient les débouchés pour les entreprises. Les prestations sociales, par exemple, permettent aux ménages qui en bénéficient de continuer à consommer. En plus de contribuer à réduire les inégalités, cela stimule l’activité et la croissance économique.

L’austérité aura au contraire des effets pervers au sein de la société Antillaise et plus particulièrement pour les femmes. L’austérité mènera à une crise sociétale de grande ampleur. On comprend que le problème n’est pas d’abord économique mais politique. La population n’est pas prête à faire les efforts. Et la raison est évidente : la société est devenue individualiste, cet égoïsme et ce corporatisme poussé qui bloque l’économie toute entière, et dont chacun d’entre nous est responsable …! Comment s’extirper de ce paradoxe ? Nous refusons la posture de l’observateur désabusé qui assistera passivement à l’effondrement de la société du fait d’un néo-libéralisme ravageur, avec l’espoir très réduit que des alternatives émergeront peut-être spontanément du chaos de la destruction créatrice de l’économiste Schumpeter. Il est encore temps de réagir et l’heure de l’engagement de la société civile devra bientôt sonner pour éviter la chronique d’un désastre annoncé !

Jean-Marie Nol, économiste financier