Martinique : une bombe chimique à retardement

— Par Florent Grabin —

Juillet 2005: dans l’indifférence estivale est rendu public le rapport de la commission parlementaire qui s’est rendue en Martinique en février de la même année. Elle constate que les arrêtés ne sont pas appliqués, d’ailleurs comment pourraient-ils il être ? Elle apprend dans le même temps que le Chlordécone ne se dégrade pas et pourrait rester dans les sols pendant plusieurs siècles.

La chance ou la malchance des DOM -TOM c’est d’être traités différemment des autres départements de la nation, singulièrement en terme de santé.

En effet, avec la bénédiction l’A.F.S.S.A. (L’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments), l’État Français, sous la signature du Ministre de l’économie des finances et de l’industrie du Ministre de l’Agriculture et de la pêche, du Ministre de l’outre-mer, du Ministre de la santé et des solidarités, vient d’autoriser la consommation de denrées alimentaires d’origine animale et végétales contaminées à des taux élevés par le chlordécone , un pesticide particulièrement redoutable utilisé sur les bananes.

Cette nouvelle est véritablement effarante pour les populations de la Guadeloupe et de la Martinique d’où l’intérêt de poursuivre l’information, afin d’obtenir le retrait définitif de ces produits dans notre environnement.

La conclusion fut sans appel il faut fixer une limite maximale de résidus (LMR) en dessous duquel des produits contenant du chlordécone pourront être consommés dans ces deux départements français.

Pour se faire, en avril 2005 était crée par les cinq ministères concernés (Agriculture, Ecologie, DOMTOM, Santé, consommation et répression des fraudes), le GEP (Groupe d’Etude et de Prospective «organochlorés aux Antilles»). Un premier séminaire en octobre 2005 , en Martinique, permettait de faire le point:

1)- Aucun indice de dégradation du chlordécone n’a été relevé, seul le lessivage, très lent, des sols permettra leur décontamination. Cela prendra plusieurs siècles dans certains types de sols.

2)- On pensait que seuls les tubercules, racines, oignons… étaient contaminés, mais on rencontre le pesticide également dans certaines parties aériennes des plantes (base des cannes à sucre et d’ananas)

3)- On espérait pouvoir décontaminer biologiquement les sols, mais les plantes ne concentrent pas le chlordécone leur teneur est bien inférieure à celle des sols.

4)- Sur les anciennes bananeraies ont été établis des «jardins créoles» afin de bercer dans la biodiversité. Des lotissements ont été construits au grand dam de leurs habitants particulièrement concernés. Dernier exemple : voir . fait à l’ancienne habitation St ichel au Gros-Morne

Face à ce constat apocalyptique, faudra-t-il interdire toute culture sur les terres contaminées des Antilles françaises ? Et cela, pour des siècles. Ou, enfin, faut-il faire appel à un plénipotentiaire national pour se protéger politiquement ?

Alors pourquoi pas L’A.F.S.S.A. ? L’AFSSA est supposée protéger la santé des citoyens. Il semblerait que son rôle soit plutôt de fixer les normes derrière lesquelles pourront se retrancher les «politiques». Vérification avec le cas du chlordécone.

Pour rendre légale la consommation d’un aliment contaminé par le chlordécone, l’AFSSA a fixé une LMR (limite maximale de résidus). Sur

uelle base ? «Il existe très peu de

onnées chez l’homme» reconnaît l’AFSSA. File affirme donc s’être basée sur des études statistiques concernant les habitudes alimentaires des populations antillaises. Bravo !!! La «norme» sera d’autant plus élevée que les produits seront peu consommés.

Imaginons le procédé appliqué en Bretagne: 80% des Bretons ne boivent plus l’eau du robinet, on devrait donc pouvoir porter la norme de 50mg/1 de nitrates jusqu’à 200mg. 1 De cette façon, il n y aurait plus une seule rivière, plus un seul captage, plus une seule sou serait «polluée» en Bretagnre. Toutes répondraient aux normes.

C’est ce principe qui a été appliqué aux Antilles. On a admis que 8 aliments (dachine, patate douce, igname, concombre, carotte, tomate, melon et poulet) pouvaient être consommés

s’ils contenaient jusqu’à 50microgrammes de chlordécone par kilogramme.

Pour d’autres, moins consommés, la limite était portée à 200 microgrammes. Pour mémoire, l’eau, pour être déclarée potable, doit contenir moins de 0, 1 microgramme de pesticides par litre. On pourrait donc consommer un aliment qui contiendrait 2000 fois cette dose !

C’est avec cette recommandation de l’A.F.S.S.A. que les ministères de la Santé, de l’Outremer, de l’Economie, de l’Agriculture ont publié un arrêté fixant ces normes de consommation. C’est ainsi que les préfets des Antilles ont eux-mêmes publié des arrêtés qui en précisaient l’application.

La moitié des sols «détectés contaminés» allaient, par ce simple choix d’une «norme», pouvoir être déclarés aptes à la production et mis en culture. Ainsi, le chlordécone qu’ils contiennent continuerait à contaminer les générations de consommateurs qui allaient se succéder dans les siècles à venir.

Des oubliés des lois

Des questions, parmi d’autres nous viennent à l’esprit: allons-nous logiquement pouvoir maintenant accepter à Dunkerque les patates douces qui avaient été précédemment détruites ? Allons-nous les trouver à Rungis ou dans les divers marchés de l’Europe continentale ?

La commission européenne va-telle enregistrer cette nouvelle «norme » ces normes resteront-elles spécifiques aux Antilles ?

Oubliés des lois sur l’eau, les populations des DOM-TOM vivront-elles également sous un régime sanitaire d’exception ?

En attendant, qu’en soit décidé autrement, gageons que certains de nos hommes politiques n’auront pas à réclamer un jour le déplafonnement du taux d’alcoolémie au volant pour sauver la production rhumière. Il pourrait éventuellement proposer 2,8 grammes, ce qui aurait permis à la France une économie de ballons.

Alors chers lecteurs, pour une Martinique autrement, nous devrons tout mettre en oeuvre pour la protection de nos enfants, ceux que nous disons aimés, car à ce jour nul n’est capable de nous indiquer les effets du cocktail des différents produits qui ont été utilisés pour notre production agricole.

Très bel héritage pour nos générations futures. Merci Messieurs nos décideurs pour cette bombe chimique à retardement, les dégâts collatéraux se font déjà sentir dans la population en terme de santé.

Florent Grabin
Président de l’association PUMA
(Pour Une Martinique Autrement )

03/04/2006