Martinique. L’île d’une femme en mille morceaux

Combien de solitudes, de Véronique Kanor. Éditions Présence africaine, 65 pages, 13 euros.

— Par Sophie Joubert —
« Ai-je tort de rêver ? » se demande la narratrice de Combien de solitudes… Dans Fort-de-France en grève, elle marche et « tourne en rond ». Née en métropole, près du métro Stalingrad, elle a fui une rupture amoureuse. Tapie au fond de son inconscient, la Martinique est « une flaque d’île intérieure », « une île par dépit, un petit dehors où (elle) entre à reculons ». Journaliste et réalisatrice, Véronique Kanor a inventé la « pict-dub-poet-trip », un genre littéraire et musical qui mélange reggae et poésie. Le texte a été mis en scène au théâtre sous le titre Solitudes Martinique. Dans une langue lyrique piquée de créole, Combien de solitudes… dit le mal-être d’une Martinique tiraillée entre des forces contradictoires et celui d’une femme qui se réinvente sur une terre qu’elle apprend à aimer. « J’ai l’espoir déplié », écrit joliment Véronique Kanor.

Source : l’Humanité.fr

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Véronique Kanor : cahier d’un retour au « pays prénatal »

 

Tout commence avec un chagrin d’amour. Une Martiniquaise, née dans l’hexagone, décide alors de rentrer au pays. « Je quitte le ventre de la France », dit-elle. « La mère porteuse ne console pas les enfants de Manman Négresse ». « Kontan wè zot, Martinique. Ce n’était ni London, ni la lune. Ce n’était pas loin. C’est le territoire de papa, de manman. C’est une île par dépit, un petit dehors où j’entre à reculons. »

Intonations césairiennes
Avec des accents très personnels et intimistes, et une construction qui rappelle le magnifique « Cahier d’un retour au pays natal » d’Aimé Césaire, Véronique Kanor plonge sans complaisance dans l’univers de l’île de ses ancêtres, sans cacher son mal être et son malaise. « Je suis le vernis cassé. Je suis la misère délabrée, le poisson mal vidé. Je suis ma case en tôle, une jarre d’or qui n’existe pas. Je suis la nouvelle venue à godillots, celle qui ne sait pas faire la bise avec le front, celle qui revient au pays prénatal sans avoir composté l’aller. »

La nature a horreur du vide, dit-on, et la perte abyssale d’amour se transforme en errance poétique et historique. La narratrice veut non seulement redécouvrir son pays, mais se le réapproprier charnellement, émotionnellement. Heureuse coïncidence, la Martinique veut renaître à elle-même. C’est la grève générale de février 2009 contre la « pwofitasyon ».

Véronique Kanor raconte avec des intonations césairiennes : « J’ai rêvé une révolution. Il y avait un jaune couleur sang, couleur nègre. Il y avait la lune, avec une peau tendue, marquée par les échos des tambours de rue. Il y avait des mots fer à souder : Sé pou la viktwa nou ka alé ! Il y avait non pas un, mais tous les hommes. Non plus tête basse, résignée, lasse, fatalité. Il y avait des corps partout, décloués, vertébraux à la lune et qui allaient pour la victoire. Le pays avait dix-sept ans, un regard insolemment haut : Bondamanmanw ! »

« Tout l’insoumis oublié de nos corps était là érigeant un seul grand nègre », s’enflamme l’auteur, enfin réconciliée avec elle-même : « J’ai oublié mes problèmes de fillette à gros poil pour répondre qu’il est mien ce pays »…

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