Marie Tudor de Victor Hugo au Théâtre Aimé Césaire de Foyal

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 La pièce s’ouvre sur un lord anglais déclarant « Il faut que ce damné italien ait ensorcelé la reine » et se termine sur Simon Renard, légat impérial représentant le prince d’Espagne, proclamant « J’ai sauvé la reine et l’Angleterre« . Entre ces deux phrases, tout au long des trois journées qui constituent ce drame populaire, nous assistons à la chute programmée, méthodique, presque mathématique de Fabiano Fabiani, favori et amant de la reine qui cristallise toutes les haines.

De Fabiano Fabiani, on ne sait que peu de choses. Il est fils d’un chaussetier italien, il a été élevé en Espagne et anobli par la reine. Il est prompt à « faire couper la tête d’un homme qui lui déplaît » ; il est l’amant de Jane, la fiancée de Gilbert, un ouvrier ciseleur ; il n’hésite pas à tuer un homme qui le menace de chantage. L’homme est à plus d’un titre condamnable et sa mort, qui, de surcroît, rend possible la réconciliation amoureuse de Jane et Gilbert, semble faire de « Marie Tudor » un drame à fin heureuse. Mais un autre sentiment, diffus, naît des zones d’ombre que Victor Hugo a instillé chez chacun de ses personnages. Ainsi, à écouter les nobles, il semble que leur haine pour Fabiani repose essentiellement sur des origines italiennes qui attisent la xénophobie et une extraction populaire qui provoque le mépris. Et que penser de l’amour passionné de Gilbert pour Jane quand on s’attarde sur l’historique de cette passion ? Gilbert, jeune ouvrier, a recueilli Jane, enfant abandonnée. Il l’a élevée, l’a vue grandir, devenir femme… Son sentiment pour elle a changé de nature et « le père » est devenu un amant jaloux et possessif… Certes la passion de Gilbert est sincère mais il est bien difficile de ne pas songer que cet amour relève, au moins moralement, de l’inceste. Quand à Simon Renard, véritable maître d’oeuvre de la chute de Fabiani, il avoue dès la première scène qu’il craint avant tout pour son crédit auprès de la reine et que pour cette raison il détruira le favori. Plus tard, on nous dira de lui qu’il « sait tout ce qui se passe« , qu’il « creuse toujours deux ou trois étages d’intrigues souterraines sous tous les événements « , qu’il « est plus puissant que la reine » ; qu’il « se moque bien du prince d’Espagne » qu’il est censé représenter… Agissant dans l’ombre, Simon Renard paraît avide de pouvoir et ce n’est pas sans arrogance qu’il clôt la pièce.

Au drame amoureux se superpose alors une tragédie où le véritable enjeu est la prise de pouvoir, où les rancoeurs privées servent un dessein politique, où un homme, au demeurant condamnable, est exécuté pour un crime qu’il n’a pas commis.

NOTE D’INTENTION

 

Victor Hugo a trente ans lorsqu’il écrit « Marie Tudor ». Si la plupart de ses grandes oeuvres sont à venir, sa technique dramaturgique s’est affinée, son écriture théâtrale s’est déliée, ses convictions sociales et politiques s’affirment.

Dans sa préface, Victor Hugo cite Shakespeare, Corneille, Molière et Beaumarchais comme autant de maîtres à penser. Il rêve là son drame ideal.

Une interrogation a guidé notre travail à chaque étape de la réalisation de ce spectacle : « Comment Victor Hugo aurait-il voulu que soit monté « Marie Tudor » aujourd’hui ? »

Les éléments de réponse à cette question, nous sommes allés les chercher dans la préface de « Marie Tudor » et dans les écrits de Victor Hugo définissant ce qu’est et ce que devrait être le théâtre. Nous nous sommes aussi attachés à être fidèles à Victor Hugo tel qu’il nous apparaissait dans la récurrence de ses thématiques et dans les convictions sociales et politiques qu’il a pu affirmer tout au long de sa vie.

Enfin, nous avons constamment eu à l’esprit de faire entendre ce texte, cette langue et de raconter cette histoire à un public forcément différent et pourtant si proche des contemporains de Hugo. Forcément différent parce que « Marie Tudor » a été écrite en 1833 et qu’en cent quatre vingt ans les codes du jeu théâtral se sont modifiés ; si proches parce que de quoi nous parle Hugo dans « Marie Tudor » sinon de passions humaines, de volontés humaines, d’ambitions humaines… L’amour de Marie pour Fabiani ou celui de Gilbert pour Jane touche et émeut le public d’aujourd’hui comme il a pu toucher ou émouvoir celui d’hier.

 

Simplicité, sobriété, sincérité

Que ce soit dans la direction d’acteurs, dans les costumes, les décors ou les accessoires, nous avons délibérément fui tout lyrisme, toute emphase, toute surabondance pouvant nuire à l’écoute du texte et à la compréhension de l’histoire que nous voulions raconter. De la même façon, nous nous sommes efforcés de ne pas dater l’époque où se déroule « Marie Tudor », voire jouer avec les anachronismes, car ce dont il est question (les passions amoureuses et l’élimination d’un homme qui s’est trop approché du pouvoir) n’appartient ni à un siècle ni à un pays.

Une reine ou une femme

Marie Tudor est reine d’Angleterre, mais elle est aussi – et avant tout – une femme. Nous avons voulu traiter cette dualité en privilégiant la femme et plus particulièrement la femme amoureuse, la femme blessée, la femme avide de vengeance. Lorsque la reine paraît sous la femme, nous l’avons voulu animale (le texte la qualifie de Lionne). Ces choix nous ont été dictés d’une part par l’attitude des nobles qui entourent Marie Tudor et qui insistent constamment sur le fait que la reine se conduit en femme amoureuse et d’autre part sur son incapacité tout au long de la pièce à se faire obéir.

La fresque historique

La toile de fond sur laquelle se déploie le drame montre un pouvoir absolu et arbitraire qui, se prévalant tout à la fois d’une idéologie politique et d’une croyance religieuse, fait peser jusqu’à l’absurde une constante menace de mort sur les protagonistes. Pour écrire « Marie Tudor », Victor Hugo s’est fortement documenté et il mêle habilement héros fictifs et personnages historiques ; les premiers étant les jouets des seconds.

Le double / Le miroir

La dramaturgie de Marie Tudor est marquée par une dualité qui empreint l’oeuvre entière : Fabiano Fabiani est italien et espagnol ; Jane est noble et roturière ; la reine veut et ne veut pas ; le palais de Westminster fait pendant à la tour de Londres ; à la passion amoureuse de Gilbert pour Jane correspond celle de Marie pour Fabiani… Ce jeu de miroir permanent, cette dualité atteint son apogée au cours de la troisième et dernière journée dont le titre « Lequel des deux ? » pose clairement le fait que de Gilbert ou de Fabiani, un seul peut et doit survivre.

La rédemption

Jane est noble par son ascendance, « peuple » par son éducation. Cette dualité fait d’elle l’héroïne hugolienne idéale, celle qui allie les vertus des deux castes. Cause involontaire de la condamnation à mort de Gilbert et de Fabiani, c’est à elle qu’il appartiendra de sauver l’un et de sacrifier l’autre. En faisant évader Gilbert, l’ouvrier, elle sauve la morale, la droiture, la bonté et condamne l’arrivisme et l’hypocrisie. Par là même, son parcours est celui d’une élévation spirituelle qui conduit à la transfiguration.

La mise en garde contre le despotisme

Avec Simon Renard, Hugo trace le portait d’un homme sombre, ambigu, qui avance vers son objectif sans conscience ni morale. C’est un homme pour qui la raison d’état prime sur toute autre raison, pour qui les individus ne sont que des pions à utiliser ou des adversaires à éliminer. En faisant mourir Fabiani, en montrant une reine affaiblie et chancelante, en faisant triompher un Simon Renard évidemment dangereux, Hugo, farouche républicain, condamne un régime et une attitude politiques qui portent en eux les germes du despotisme et de la dictature.

Pour finir, nous avons voulu traiter « Marie Tudor » comme un véritable drame policier populaire, un thriller décomplexé. Et comme le disait Jean Vilar : « Il faut veiller à défendre Hugo contre les sots et les gens d’esprit ».