Madame Le Pen, « Opération cocotier » ? Non merci ! Pas chez nous !

… Et pourquoi pas « opération bamboula, ou  opération bougnoule » ?

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Manifestation d’opposants à la visite de Marine Le Pen à La Réunion en 2012

— Par Yves Untel Pastel, sociologue —
Madame LE PEN, au nom de la continuité du territoire français et du droit à la libre circulation de tous citoyens, vous vous proposez de venir en Martinique, le territoire dont le peuple a subi l’esclavage, la torture, la dépersonnalisation et l’extermination par assassinats ou par simple épuisement sous le joug. Le territoire dont le peuple continue de subir moult discriminations d’une caste béké funestement célèbre, toujours dominante et prédatrice, ainsi que le mépris multiforme d’un État français complice vérolé de racisme institutionnel.
Et vous voilà depuis de longs mois à préparer votre grand coup : mettre pied aux Antilles, dans l’orgueilleux dessein de réparer les échecs cuisants que Monsieur Jean-Marie Le PEN, votre père, a connu dans ses vaines tentatives de visite. À dix ans d’intervalle, les Martiniquais et les Guadeloupéens lui ont exprimé leur franche hostilité, en décembre 1987 à l’aéroport de Fort-de-France, et en Guadeloupe en 1997.

Malgré ces avertissements, vous voilà conquérante, persistante. Votre entêtement à fouler notre sol est sidérant, votre manière de venir en terrain conquis de plein droit nous rappelle en effet que nous ne sommes à vos yeux que des îles captives, françaises bon gré mal gré, lambeaux anachroniques de cette vaste chasse gardée coloniale ultramarine. Vous entendez forcer le barrage coûte que coûte, balayant d’un revers les ressentis de la population martiniquaise. Vous voulez votre immersion en eaux antillaises comme d’autres avant vous. Vous voulez votre droit de participer à la grande foire électoraliste comme tous les autres généraux en chef des armadas politiciennes de France.

Nous subodorons d’ailleurs que les dernières fracassantes sorties médiatiques de Jean-Marie Le PEN ne sont que pures mises en scènes, le faisant apparaître comme un abject trouble-fête désormais passible d’une éjection du parti ! Cette grotesque mascarade Freudo-shakespearienne ne viseraient-elles pas simplement à faire apparaître le« Front-National-nouveau » comme plus fréquentable, rénovateur au point d’être capable d’exclure son bouillonnant fondateur ? Un point de plus pour emberlificoter les électeurs de France, les Antillais fronto-convertibles compris. Nous voyons clair dans vos jeux.

Votre idée de voyage en nos terres nous insulte. Et le titre même de votre expédition de séduction, « OPÉRATION COCOTIER » est révélateur du regard réducteur que vous portez sur nos îles des Antilles. Ces terres lointaines se résument pour vous à l’exotisme, simples banlieues à vocation touristique. Ce n’est pas sérieux ! Mais votre regard n’est qu’un miroir grossissant de cette vision condescendante si souvent portée sur nos sociétés. D’autres avant vous nous avaient déjà affublés de qualificatifs relevant du même registre. Les départements d’outre-mer ne sont-ils pas continûment décrits comme les « danseuses de la France » ?
Vous confirmez ce à quoi tout le monde politique hexagonal nous réduit : des territoires faire-valoir, des variables d’ajustements, des laboratoires électoraux, des pions stratégiques, enfin tout sauf des pays d’hommes et de femmes qui entendent aussi se prononcer sur leur commun destin. Vous comprendrez, qu’à travers vous, nous condamnons et combattons des pratiques, des pensées discriminantes à notre égard, des postures devenues outrageusement banales dans des cercles débordant largement, très largement, votre parti.

Madame Le PEN, vous êtes l’amirale en chef de votre parti et sur ce nouveau front ultramarin vous escompter mener et remporter une grande bataille. Vous entendez, revêtue de ce blason offensif, défendre, imposer, apposer, imprimer telle cette mémorable fleur de lys dans nos chairs, les mots et les pensées partagées par les vôtres, concernant le destin de la France et le sort des hommes et des femmes destinés à cohabiter dans cette France plurielle. Farouche vous défendez une ligne de pensée bien tranchée. Et cette ligne est une ligne de défiance vis-à-vis de ceux qui ne sont pas « votre France ». Car, ceux qui sont « votre France » préférentielle sont blancs. Et venant, ceux qui sont « votre France » doivent bénéficier de votre traitement privilégié. Ce traitement vous l’appelez :

« LA PRÉFÉRENCE NATIONALE ».
Madame Le PEN, vous êtes logique. Nous le sommes aussi ! Ne voyez-vous donc pas que les Antillais ne sont pas blancs ? Et ce, même s’ils sont attributaires d’une carte d’identité les identifiants comme citoyens de France ? De toute évidence, ils ne sont pas de « votre France blanche préférentielle ». Comment se retrouveraient-ils dans votre logiciel politico racial absurde ? Les Martiniquais sont arc-en-ciel, avec une souche principale qui est « nègre ». Cette « négritude »qu’au Front National vous abhorrez. Oui, Ils sont de ce type de personnes que vous traitez de singes, à qui vous offrez des bananes, à qui vous proposez de regagner la jungle.

Madame Le PEN, Est-ce bien à cette Martinique-là, si diversement humaine, que vous venez faire cette soudaine déclaration d’amour, ou plutôt votre ballet de mante religieuse ?
– Venez-vous nous envelopper, nous Antillais Martiniquais, dans votre drapeau fraternel, « national » ? Plus que des enjeux électoraux, la population martiniquaise est aux prises avec de lourdes problématiques, problématiques voulues, entretenues depuis les premières heures de la colonisation esclavagiste et renforcées par toutes les innovations et travestissements machiavéliques du pouvoir français dans sa colonie départementale.
– Venez-vous mesurer la situation d’un département si économiquement sinistré, avec un taux de chômage exponentiel, une population affectée d’un cocktail de handicaps sociaux qu’aucun gouvernement n’a jamais vraiment choisi de traiter ?
– Peut-être voudriez-vous briser ce régime scélérat de l’exclusif défini en 1 766 par Dupont de Nemours qui multiplie les barrières à un vrai et pertinent développement dans le bassin caribéen naturel. Il y a là pourtant un tel potentiel !
– Venez-vous interroger l’intolérable continuité du régime d’apartheid Martiniquais que votre père dans un surprenant sursaut de vérité à lui-même dénoncé, le 10 février 2007 dans l’émission« Chez Fog » de Franz-Olivier Giesbert ? Voilà ce que disait votre père… « très peu de gens savent que la Martinique appartient encore, foncièrement, en parlant du foncier, pratiquement totalement aux Békés. Personne ne sait cela. En 200 ans, depuis la révolution, cela n’a subi aucun changement ». Oui, ce sont les mots de votre père même !
– Vous qui êtes, disant, si attachée à la petite entreprise, à l’artisanat, au développement économique de proximité, venez-vous dénoncer les politiques de déploiement tentaculaire des zones commerciales destructrices de terres agricoles, ou brisant des équilibres communaux, renforçant la logique de département consumériste, de celles portées par le Groupe Bernard Hayot (GBH), dont l’ultime projet désormais autorisé est dans cette commune de Sainte-Luce contre l’avis de la commune, qui entendait préserver un bassin local d’activité avec les emplois adaptés au tissu environnemental ?

Enfin, quel remède Madame Le PEN, le Front National dont le nombril est en France hexagonale pourrait-il même de loin envisager pour la Martinique des Français nègres d’outre-mer ? La Martinique est une poudrière. Un sanatorium social. Un mouroir économique. Nous ne pouvons pas nous imaginer une seconde, sauf à être suicidaires et aveugles, que nous puissions susciter chez vous quelque élan solidaire et patriotique. Non Madame ! L’agneau martiniquais ne saurait offrir sa gorge au boucher ! Madame Le PEN, il faut être perméable à l’âme et à la diversité antillaise pour comprendre les inquiétudes ordinaires des gens de nos pays. Vos thèses vous disqualifient !
Car, nous nous souvenons, Madame, des campagnes de mépris du Front National contre Madame Taubira Délanon, pour ne citer que cette cible emblématique, parmi tant et tant d’autres. Sachez que, même si beaucoup ne partagent pas les idées de Madame Taubira, puisque là n’est pas la question, nous la regardons d’abord comme une sœur, une noire, une femme, et tout simplement comme un membre du genre humain que nous devons respecter comme tel.
Nous vous rappelons, qu’à ce titre vous nous devez des excuses en tant que communauté d’hommes et de femmes offensés à travers une des leurs, à cause, oui uniquement à cause de ses origines. Des excuses qui vous honoreraient, en tant que personne qui se veut respectable et en tant que chef d’un parti politique officiel, investi d’une responsabilité citoyenne.

Voici donc, Madame, ce que vous venez représenter et défendre : Le mépris décomplexé. Oui, selon vos pratiques de parti le mépris des autres est un état d’esprit totalement légitime et assumé. Bien pis encore, vous l’érigez en dogme culturel, en principe de gouvernement, en modalité de relation entre individus différents, en baromètre pour la répartition des avantages nationaux, en critère pour intégrer ou non sa place dans la Nation.
Comprenez Madame que nous ne voulons aucune place dans cette France-là que vous stratifiez telle une échelle de haut en bas, « du plus blanc au plus noir ». Non merci. Nous voyons déjà se dessiner à l’horizon vos réserves d’indigènes à notre intention à l’instar des Papous de Nouvelle-Guinée, des aborigènes d’Australie, ou encore vos ghettos concentrationnaires si tristement persistants aujourd’hui même en Afrique du sud…

Nous nous souvenons des dénégations du Front National à l’encontre de valeurs importantes pour les Antillais. De celles-là, l’égalité de traitement devant la mémoire de l’esclavage est primordiale. Or, nous nous souvenons Madame, que dans nombre de municipalités dirigées par des élus du Front national, des attaques en règle ont été orchestrées contre la mémoire de l’esclavage. C’était le cas à Villers-Cotterêts (Aisne), en mai 2014, lorsque le nouveau maire, Monsieur Franck Briffaut à peine élu,  décide de ne pas célébrer la commémoration de l’abolition de l’esclavage. Là encore, ce n’est qu’un cas parmi tant d’autres.
L’absence de sensibilité et de bonnes grâces du front National pour des causes aussi graves est un affolement pour la conscience et ne peuvent vous permettre de rentrer en résonance avec nous autres Martiniquais que vous prétendez séduire.
Vous avez néanmoins un mérite Madame, c’est de nous rappeler une vérité, celle d’un peuple français schizophrène qui prétend pratiquer de belles idées et qui met en œuvre les plus exécrables. Le rejet de l’autre fait malheureusement partie de la culture française, une culture où cohabite une tradition humaniste que ne cesse de contredire une tradition esclavagiste et coloniale. Vous êtes la face visible d’une France dissimulée. C’est une réalité qui ne cesse de nous affliger. Vous, vous avez la franchise d’être clairement ce que vous êtes. Alors, nous nous permettons de vous indiquer à nouveau ce que nous ne voulons pas, ce que nous ne supporterons plus, ce devant quoi nous ne ferons plus jamais marche arrière.

CE QUE NOUS NE VOULONS RÉSOLUMENT PLUS, c’est l’illégitime mépris de cette France-là. Celle qui porte le masque des colons esclavagistes, celle qui porte le blason des racistes, celle qui porte l’arrogance d’une race qui pense avoir droit de tutelle, de vie et de mort sur toutes les autres.  Ce que nous vomissons contre vous et contre tous ceux qui, moins courageux que vous, se cachent derrière vous : Le mépris de la race blanche contre toutes les autres.
En cette terre de Martinique, dans ce peuple Martiniquais dans toute sa diversité, ce que nous voulons, c’est le respect réel et profond de tous pour tous ; c’est que « la race » l’origine ou toutes autres différences, ne soient pas des critères interdisant la solidarité et l’Amour entre les hommes de ce territoire. Ce que nous voulons c’est éradiquer l’esprit d’écrasement d’une catégorie d’homme par une autre, sous les prétextes fallacieux d’inégalités et d’incompatibilités raciales.
Poursuivant, nous voulons vous dire que l’instrumentalisation de « la race » est le terreau de toutes les pensées et pulsions perverses morcelant l’humanité ; que nous sommes résolus, à faire entendre à tous que tous les humains forment une seule et même espèce. Que les hommes peuvent vivre mélangés et solidaires, que c’est la classification qui conduit à la discrimination, la discrimination à l’injustice, l’injustice à la frustration, la frustration à tous les épouvantables fléaux et guerres interraciaux.

Madame, pour être du mauvais coté de la barrière raciale, pour connaître le sort amer des peuples écrasés, nous avons longtemps pardonné et nous pardonnons encore. Mais nous n’oublions pas. Nous sommes désormais intransigeants parce que l’heure de l’innocence est abolie. Chacun connaît ses rôles dans l’histoire. Chacun doit assumer. Des négationnistes de tous poils souhaitent tirer un trait hâtif sur l’histoire de notre peuple, dans le criminel but de ne rien changer à l’ordre des choses. Plus grave, notre peuple Martiniquais est menacé du grand mal : le génocide et le refoulement hors de cette terre que nos ancêtres ont arrosé de leur sang. Vous êtes, Madame, porteuse de cette idéologie de haine contre les noirs, obstinément arrimée à vos visées destructrices. Les noirs de toutes nuances de Martinique, victimes de tous, ne se laisseront plus faire. Plus jamais.

De ce fait, comprenez Madame, que votre seule présence sur notre terre  serait une véritable agression, votre seule audace à étaler vos prétentions ici même, est un insupportable affront. Rayez la destination Martinique de votre carnet de voyage, restez parmi les vôtres, n’ajoutez pas un nouveau chapelet à votre condescendance ignominieuse vis-à-vis de tous les « Taubira » de la Martinique et de l’univers. Tous arcs-en-ciel, au-delà des nuances superficielles, tous d’un seul et même genre humain un et indivisible.

Madame Le PEN, vous, ambassadrices des thèses létales du Front National, nous n’entendons pas vous accueillir parmi nous. RESTER CHEZ VOUS !

Veuillez accepter Madame, mes salutations respectueusement antiracistes !

YVES UNTEL PASTEL