Macbeth : esthétique et fidélité

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macbeth_afficheSe confronter à Macbeth, c’est bien sûr se frotter à Shakespeare, mais indirectement se mesurer à Orson Welles ou Polanski. Pour son deuxième long-métrage, Justin Kurzel n’a donc pas choisi la facilité. Reste à savoir s’il parvient à se hisser sur les épaules de ces géants ou se contente de leur chatouiller les chevilles.
Son adaptation s’ouvre sur la bataille de Norvège, fait d’arme initial de Macbeth et source de sa chute. Dès cette introduction, le film nous plonge dans une suite de tableaux, séquences de combat au ralenti qui imposent immédiatement la puissance picturale de l’œuvre. On aura invoqué ici et là une mise à jour esthétique du chef d’œuvre shakespearien, qui ferait du pied aussi bien au Guerrier Silencieux de Winding Refn qu’à Game of Thrones. Si ces remarques ne sont pas à proprement parler inexactes, elles ne suffisent pas à rendre compte du geste de cinéma accompli par Kurzel.

Plus qu’une incarnation moderne ou « à la mode » de Macbeth, le metteur en scène s’échine à reproduire à l’image la fuite en avant, la fièvre et la démesure qui habite le couple mortel qui occupe dans la pièce le devant de la scène. Plus qu’une illustration plastiquement fastueuse (ce qu’il est également), le métrage s’impose comme un pur condensé de folie.

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Dès son premier film australien, Les Crimes de Snowtown (2011), Justin Kurzel s’attachait à la séduction du Mal. Un homme s’introduisait dans une famille ravagée, l’assujettissait par son charme et son autorité, avant de la pervertir corps et âme, au nom d’une prétendue pureté. C’était le diable au travail. « Pour moi, il était une figure de roi », ­disait le réalisateur. Il n’ajoutait rien, tant il était évident que la monstruo­sité des personnages et l’ampleur de l’horreur qu’il observait minutieusement évoquaient Shakespeare. D’où ce Macbeth, évidemment…

Son adaptation souffre de tics : ­multiples ralentis dont l’esthétique masque mal la gratuité. Multiplication de batailles, avec glaives, boue et sang qui menacent de transformer la tragédie en épisode inattendu du Seigneur des anneaux, Tolkien semblant l’emporter sur Shakespeare. L’épure des paysages écossais, en revanche, et la lutte que le réalisateur instaure entre l’obscurité des décors et le rouge des meurtres et des incendies ne manquent pas de grandeur.

Une grandeur qu’accentue, à chaque instant, un Michael Fassbender époustouflant. Très aidé par son physique, il est vrai, car sa force, sa carrure et sa beauté finissent par rendre infiniment émouvante la candeur secrète de son personnage. Roi par procuration et tyran par obligation. « Vous n’êtes pas fait pour la violence », lui fait observer Lady Macbeth (Marion Cotillard, impeccable comme toujours), qui, elle, l’est totalement, obstinément, passionnément.

Son innocence perdue après l’assassinat de son souverain, le Macbeth de Fassbender se précipite, donc, droit vers un bain de sang qui le ­dépasse, comme ces Gribouille qui se jettent à l’eau pour éviter la pluie. Jusqu’au bout, un enfant sommeille en lui (il se raccroche aux prophéties des sorcières comme un gamin croit aux contes qu’on lui lit). Il est à la fois grandiose et dérisoire. Epouvantable et épouvanté. Dès lors, la célèbre réplique « La vie […] c’est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien », que Michael Fassbender prononce avec une sorte de terreur lasse, n’en devient que plus poignante. On est face à un homme joué, victime d’un destin plus grand que lui. Lorsqu’il meurt, Justin Kurzel ne filme pas son héros à terre, mais agenouillé, tête basse. En méditation. Comme en prière. — Pierre Murat

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