L’une danse, l’autre pas, toutes créent !

— Par Janine Bailly —
lune_creee_lautre_pasOui, il est vrai que, depuis quelques années, les « journées de … » font florès. Il est vrai aussi qu’une Journée de « la » Femme, c’est bien peu, c’est bien court, et peut-être n’est-ce que l’occasion, une fois au moins dans l’année, de se donner bonne conscience. Mais foin des esprits chagrins ! Moi qui suis femme, avec ou sans majuscule, je n’ai pas boudé mon plaisir, profitant de ces deux jours déclinés au féminin : oui, sous le titre « L’art se fait femme », c’est bien pendant deux jours que la Région nous a ouvert ses locaux, ajoutant à la date traditionnelle du 8 mars la totalité du samedi 7.
Oserais-je avouer, sans m’attirer les foudres de mes consœurs, qu’à mon goût certaines créations m’ont paru quelque peu ordinaires, en comparaison d’autres superbement abouties ? Mais comme le dit un adage célèbre, l’essentiel n’est-il pas de participer ? Bravo à toutes donc, les douées, les audacieuses, les timides, les bavardes, les taiseuses, les femmes de bonne volonté ! Bravo car moi, qui ne crée rien, je ne peux que vous dire mon admiration !
J’ai adhéré en revanche en tous points à la soirée cinéma/débat, qui pour moi venait clore en beauté la première de ces deux journées festives. Soirée qui nous a fait découvrir, projeté dans une salle des délibérations pleine comme un œuf, un documentaire de 52 minutes original, intitulé « Batuque », en présence de sa productrice Marie-Clémence Andriamonta-Paes. Batuque, c’est la danse des femmes du Cap-Vert, danse quasiment fermée aux hommes, même si un « spécimen » du genre —mais un seul ! — a obtenu droit de cité dans le groupe et dans le film. Danse revendicatrice interdite de même que le tambour, parce que dite primitive et lascive, par le colonisateur portugais, mais danse redevenue essentielle et vivace et vitale : une des femmes du marché ne déclare-t’elle pas que sans le batuque « on se serait entretué » ? (Ici l’on pensera bien sûr au bèlè martiniquais, à la capoeira brésilienne et autres formes d’expression bannies en pays colonisés ou dictatoriaux ). Afin de surseoir à l’absence de musique, les femmes ont d’abord marqué le rythme de la danse en frappant sur leurs cuisses, puis, parce que cela finissait par être douloureux, sur des petits coussins, voire même sur des boules faites de sacs plastique enroulés. Aujourd’hui, le batuque n’est pas une danse figée dans la tradition, il évolue au rythme de la société cap-verdienne : les jeunes générations ne portent plus pour le pratiquer la jupe longue autrefois obligatoire. Ce qui reste primordial, c’est le tissu noué autour des hanches et sans lequel le batuque ne serait pas le batuque ! Particulièrement bien construit, ce film nous prouve, s’il en était encore besoin , que le documentaire est une œuvre d’art cinématographique à part entière. Et, cerise sur le gâteau, pour introduire la séance, une jeune Martiniquaise aussi jolie que modeste était venue déclamer d’une voix bien posée le poème homophone d’Aimé Césaire.
Mais dimanche après-midi, la fête avait encore investi une autre scène, improvisée en plein air sous un carbet de toile blanche , sur le parvis de l’Atrium. « Femmes en voix, Femmes en soi » : cinq femmes, toutes différentes et pourtant toutes semblables dans leurs convictions, cinq femmes tout de rouge et de blanc vêtues, accompagnées par le groupe de chanteuses Vwa Bel Danm, ont conjugué pour nous danse, poésie, slam et musique. Leurs voix, leurs chants, leurs cris, leurs gestes, leurs pas aussi furent de révolte et d’amour, d’espérance et de foi. Avec leur cœur, avec leur âme, avec leurs tripes, elles ont dit au vent et au soleil le malheur et le bonheur d’être Femme ; elles ont évoqué les figures tutélaires, Mère Teresa, Indira Gandhi, Angela Davis, Lumina Sophie, Solitude, Rosa Parks, Toto Bissainthe, Suzanne Césaire, et tant d’autres anonymes mais qui jamais ne tomberont dans l’oubli.
Du concert qui suivit, dans la salle Aimé Césaire, je ne dirai rien, n’y ayant pas assisté, non par désintérêt, mais parce qu’il me fallait garder bien présente en moi l’émotion de ce moment si généreux, de ce moment de grâce qui venait de nous être donné.
Merci encore à toutes et à tous — oui, Messieurs, j’y ai vu et rencontré bon nombre d’entre vous, spectateurs mais aussi acteurs en coulisses — pour tout cela !
 
PS : revoir le film « Timbuktu » cette même semaine au cinéma Madiana est venu s’ajouter comme un point d’orgue à ces manifestations, tant les figures de femmes en résistance y sont fortes et humainement riches, malgré le sort tragique qui leur est trop souvent réservé.
 Fort-de-France, le 13/03/2015
Janine Bailly