L’ouragan Irma : tirer les leçons d’une catastrophe prévisible.

Par Dr Jean ROGER, géophysicien marin —

La Mer des Caraïbes et ses plages de sable blanc attirent depuis des décennies nombre de touristes qui fuient la grisaille hivernale du vieux continent. Pour pallier à la demande en hébergements, de nombreux investisseurs ont établi leurs quartiers dans ces îles paradisiaques et y ont construit toutes sortes de bâtiments, allant de simples résidences particulières aux immenses complexes hôteliers pouvant accueillir des centaines de clients. Bien souvent, ces derniers ont prit la place des mangroves et autres forêts littorales et les quantités astronomiques de polluants (produits phytosanitaires, eaux usées, etc.) rejetées dans les eaux côtières, ont gravement endommagé les récifs coralliens. Or ces deux écosystèmes, aussi fragiles qu’absolument nécessaires au maintien de l’équilibre de la biodiversité des Caraïbes, jouent également un rôle non négligeable de défense de la frange côtière face aux divers assauts de la mer. Ce sont de véritables barrières qui, si elles ne les stoppent pas, réduisent l’impact des submersions marines, notamment en terme d’atténuation des courants lors d’épisodes de forte houle, de surcote de tempête ou encore de tsunami. Les récifs coralliens, positionnés à distance de la côte, cassent les vagues et réfléchissent une partie de l’énergie incidente vers le large, tandis que les mangroves, enchevêtrement de palétuviers, forment des murs de végétaux qui freinent l’avancée de la mer et réduisent les courants qui parviennent à la côte.

Malheureusement, on constate une très nette régression de ces écosystèmes durant les dernières décennies : les récifs coralliens sont de plus en plus détériorés par les activités humaines (surpêche, piétinement, crèmes solaires, ouvertures dans les récifs, etc.) et le réchauffement climatique global, et les mangroves, dont la réputation de zones insalubres perdure, sont déforestées au profit des diverses activités économiques (agriculture, construction de zones industrielles, décharges, etc.).

En 2001, l’UNEP (Programme pour l’Environnement des Nations Unies) estimait à pas moins de 40% la population des Caraïbes qui vivait sur le littoral à moins de 2km de la mer donc dans une bande de terre potentiellement inondable. Ces 15 dernières années n’ont pas vu un ralentissement quelconque de l’artificialisation du littoral et des flux migratoires vers les côtes. Les îles françaises des Antilles ne sont pas épargnées par cette anthropisation croissante du littoral, bien au contraire.

On se trouve donc face à un premier constat : de plus en plus de monde et d’infrastructures en bord de mer, et de moins en moins de protection naturelle, préalablement exercée par les mangroves et récifs coralliens. Et la bétonisation du littorale (construction de digues, de jetées, etc.) s’est depuis longtemps avérée être une hérésie qui, à part enrichir quelques entreprises de BTP, entraîne la modification de la dynamique littorale et ne fait que transposer un problème d’un point à un autre.

Et pourtant, mis à part des projets aussi disparates que limités dans l’espace et le temps (fermes à coraux, plantations de palétuviers, zones de réserves, etc.), il n’y a pas une réelle volonté des acteurs politiques de cette région Caraïbe de protéger et même restaurer ces écosystèmes malgré l’énorme bénéfice économique qu’ils pourraient en dégager (éco-tourisme, meilleure gestion de la pêche, etc.). Au contraire, on voit çà et là de nouvelles atteintes à leur état d’ores et déjà précaire, comme par exemple la destruction des coraux dans le Grand Cul-de-Sac Marin en Guadeloupe en 2015 pour faire venir des bateaux toujours plus gros, la destruction d’un platier corallien (la Grande Sèche) en baie de Fort-de-France pour faire du remblai pour l’extension du port depuis 2014, la destruction anarchique de la mangrove de Baie-Mahault sur le site de Jarry (Guadeloupe) pour y implanter toujours plus d’entreprises, l’installation de complexes hôteliers sur les plages de St Martin et des îles Vierges, etc. La liste est malheureusement longue. Et les conséquences suite à un potentiel évènement climatique (cyclone, forte houle) ou géologique (tsunami) non bénignes.

La région Caraïbe a été historiquement touchée par un certain nombre de tempêtes tropicales, parmi lesquelles des évènements cycloniques catastrophiques comme Hugo (1989), Luis (1995), Lenny (1999) ou plus récemment Dean (2007), Omar (2008) et maintenant Irma (2017). Ces différents évènements n’étaient pas prévisibles à long terme et ne le seront vraisemblablement jamais et le calcul de leur trajectoire restera probablement un défi pour les météorologues encore un bon moment. Néanmoins ils ont permis au fil du temps aux gouvernements de la plupart des pays de la Caraïbe d’élaborer des stratégies de mise en sauvegarde des populations avec la construction d’abris, la réalisation de Plans Communaux de Sauvegarde (PCS) ou encore la réalisation de schéma d’évacuation basés sur des résultats de simulations numériques. Mais, même si on ne peut pas agir directement sur la tempête elle-même (à part peut-être en réduisant nos émissions de gaz à effet de serre de manière drastique), on ne propose nulle part des plans d’action réellement efficaces pour réduire les conséquences de ce que l’on appellera les phénomènes associés : une tempête génère du vent, des vagues et des fortes pluies qui peuvent à leur tour générer des glissements de terrains, submersions marines, effondrement de bâtiments, etc. Il s’agirait donc de faire en sorte que ces évènements induits n’aient pas à leur tour de conséquence sur les vies humaines. Si la densité de population en zone littorale est réduite, on réduit les risques de submersion marine ; si les bâtiments sont moins hauts, on réduits les risques d’effondrement ; si les zones d’habitation sont localisées sur des sols stables, on réduits les risques de glissement de terrain, etc. En effet, une île comme Haïti a montré que la déforestation intense et les constructions anarchiques à flanc de colline peuvent mener à des situations extrêmement dangereuses, notamment lors de fortes pluies qui entraînent parfois des glissements de terrain dramatiques, emportant de nombreuses habitations sur leur passage. De la même façon on se rend compte que pour pallier à la demande toujours plus importante en logements, les habitudes de construction traditionnelles, et notamment la maison créole de plein pied, se sont perdues dans le temps pour favoriser la construction de bâtiments à grande capacité d’accueil sur plusieurs étages bien souvent élaborés avec des matériaux de mauvaise qualité. Enfin, pour y revenir, les écosystèmes côtiers ont été endommagés, sinon détruits, et ne jouent plus leur rôle de défense face aux humeurs de la mer. La bibliographie très riche sur le sujet présentent des études réalisées un peu partout dans le monde qui montrent que ces écosystèmes, bien qu’incapables d’arrêter à 100% une submersion marine, permettent dans réduire fortement les conséquences.

L’ouragan Irma, de part sa durée et sa puissance, le plus intense jamais enregistrés dans la région Caraïbe, pourrait dans toute son horreur peut-être être vu comme un signe envoyé aux décideurs pour prendre enfin des mesures concrètes et sur le long terme concernant la gestion intelligente de l’environnement et de l’artificialisation des territoires de la Caraïbe, pour mettre un frein à la bétonisation du littoral et enfin, pour restaurer les écosystèmes que sont les mangroves et les récifs coralliens, nécessaires à la vie locale et donc bien entendu, à la protection des populations côtières.

07.09.2017