L’homme est-il transformable ?

— Par Michel Pennetier —
transhumanismeVoilà qu’au milieu des nouvelles d’attentats, d’épouvantables odyssées de migrants du Moyen-Orient vers l’Europe, de révélations sur de massifs transferts d’argent vers le paradis fiscal qu’est Panama par les riches et puissants de ce monde pour éviter de payer les impôts dans leur pays où sévit le chômage, souvent la misère, voilà donc qu’on nous annonce la transformation de l’homme par la conjonction de techniques biologiques, informatiques, nanotechnologiques. Est-ce une bonne nouvelle ?
Les idéologues du « transhumanisme » nous le promettent. Les laboratoires de ces différentes technologies y travaillent, des sommes considérables sont investies, notamment par Google. On sait que le progrès scientifique est exponentiel, chaque découverte, chaque nouvelle technologie en multiplie d’autres et donc accélère le mouvement innovateur. Il est donc fort probable que nous verrons cette transformation ou « amélioration » de l’homme dans les proches décennies de ce siècle.
Entre les technologies « réparatrices » et celles qui se proposent d’améliorer l’homme, la frontière n’est pas étanche. Adjoindre sur un corps handicapé un membre artificiel qui réagit aux impulsions du cerveau, rendre la vue à un aveugle en fixant dans l’œil un système électronique qui transmet au cerveau les images de la même façon qu’un œil naturel, personne, je crois, ne se plaindra de ces avancées technologiques.
Le séquençage du génome est désormais accompli et permettra de plus en plus de prévenir des maladies héréditaires. Rien de cela ne devrait nous inquiéter.
Mais les transhumanistes se fondent sur ces progrès pour envisager, une transformation ou une amélioration, comme ils disent, de l’humain qui permettrait l’apparition d’un néo-humain plus performant, physiquement et mentalement jusqu’à l’espoir de prolonger la vie indéfiniment avec l’immortalité à l’horizon. Ce néo-humain serait transformé biologiquement, doté de puces électroniques dans le cerveau permettant de multiplier à l’infini les capacités mentales. Ils imaginent même la possibilité de faire passer la totalité des donnés d’un cerveau sur un ordinateur, ce qui permettrait de vivre sans corps ou bien de réintégrer un corps artificiel. A vrai dire, je ne sais pas ce qu’est « la totalité des donnés d’un cerveau » . Toute pensée, tout souvenir, tout affect, toute image laissent certes des traces dans le cerveau, mais qu’en est-il de la conscience ? On peut poser la question autrement : un système informatique, à partir d’un certain degré de complexité peut-il avoir conscience de lui-même ? Il me semble que le robot avec un programme extrêmement sophistiqué, peut répondre à un grand nombre de situations nouvelles et donner l’impression que c’est un être autonome. Pour autant il n’a pas conscience de lui-même, c’est une machine. Ou bien sommes-nous nous-mêmes des machines sophistiquées qui croyons à tort avoir une conscience autonome ?
On voit que le transhumanisme nous lance dans des abîmes de questions métaphysiques. Toute avancée de la science s’est payée par une désillusion quant à notre propre humanité. Depuis Kepler et Galilée, nous ne sommes plus au centre de l’univers. Depuis Freud, nous, en tant que conscience, ne sommes plus au centre de nous-mêmes. Avec le transhumanisme, il semble que nous allons découvrir que nous ne sommes que des machines, produits des hasards de l’évolution et de la sélection naturelle qu’il convient maintenant de prendre en main et d’en accélérer le processus évolutif. Paradoxalement, les pouvoirs grandissant de l’homme sur lui-même, sa capacité à changer la nature, sa puissance démiurgique, l’humilient et nie en lui ce qu’il croyait avoir de plus précieux : l’esprit !
Dans le fond, le transhumanisme ne fait que prolonger le programme de la technoscience qui s’est installé au 17e siècle, lapidairement formulé par Descartes « Se rendre comme maitre et possesseur de la nature ». Le philosophe avait eu la prudence de dire « comme », reconnaissant au Créateur la véritable maitrise. Mais le processus de la technoscience a ignoré le « comme » et la révolution industrielle a profondément modifié l’environnement naturel de l’homme. Ce qui a été fait pour le monde extérieur, le transhumanisme se propose de le faire pour le monde intérieur. Or, le spectacle de la transformation de l’environnement permet de se poser des questions quant à la capacité de l’humanité à intervenir ainsi dans les processus naturels. C’est précisément au moment où l’humanité s’alarme des dégâts de l’industrialisation et des conséquences climatiques qui en découlent (cf COP 21) que l’idéologie transhumaniste pointe son nez. J’en viens donc à penser que les erreurs qui ont été commises par la technoscience sur le monde extérieur se renouvèleront sur le « matériel humain ».
Pour approfondir la question, il faudrait préciser ce que nous entendons par « nature ». Etymologiquement, cela signifie « ce qui est né par soi-même ». C’est l’englobant dans lequel nous sommes englobés en tant qu’êtres vivants. Spinoza ne donne pas d’autres définitions : « Dieu, c’est-à-dire la nature est la totalité infinie de ce qui est » et « L’homme n’est pas un empire dans un empire ». Ces deux petites phrases suffisent à rabattre le caquet, et de la technoscience et du transhumanisme !
La nature – en nous contentant de parler ici de la nature terrestre- est un écosystème complexe où tout se tient et est en relation. J’ai entendu dire qu’un battement d’ailes de papillon peut avoir des conséquences sur les ouragans à venir ! Combien l’extraction du pétrole et son utilisation, l’exploitation de l’énergie nucléaire n’ont-elles pas eu de conséquences éminemment plus graves ? C’est que la technoscience procède par interventions partielles en fonction d’un projet particulier qui n’envisagent pas la totalité de l’écosystème terrestre. Il faudrait avoir une pensée holistique qui envisage la totalité de l’écosystème pour développer des techniques écologiques, du moins en un lieu donné, envisager par exemple le rapport entre la terre, les arbres, la lumière, les insectes, les vents etc … pour envisager une exploitation par l’homme respectueuse des lois naturelles.
La technoscience est une hybris, et l’on sait depuis les Grecs où conduit l’hybris … au tragique. Le tragique de notre civilisation.
Mais revenons à l’homme. Il est lui aussi, comme l’ensemble de la nature, un tout complexe où tout se tient, un microcosme en miroir du macrocosme. « Cosmos » en grec, « mundus » en latin veut dire un tout harmonieux, cohérent ( sinon ce ne serait pas viable). Nous ne pensons et sentons pas seulement avec notre cerveau mais avec toute la complexité de nos organes, en particulier les intestins et le rythme du cœur. Par où l’on voit qu’un être dont le contenu psychique aurait été déversé dans un ordinateur est une absurdité théorique avant qu’elle ne devienne pratique. De grâce, chers transhumanistes, épargnez-nous ces horreurs !

Je ne sais si les idéologues du transhumanisme sont à prendre au sérieux. Mais ce qui l’est plus, c’est le mouvement immanent de la technoscience qui suit inéluctablement son cours. Si une invention est possible, elle sera faite, inéluctablement. Son application, son usage dépendra des législations des états qu’il faut renforcer face aux appétits des firmes avides de rendement financier quel que soit le coût humain et écologique ( ces deux termes sont les deux faces d’une même chose) . Et les décisions des états dépendent de la société civile et des comités d’éthique qu’elle fondera.
Il faut donc dès aujourd’hui parler de la « transformation » de l’homme telle qu’elle peut se dessiner.
En archéo-humaniste que je suis, je crois que l’homme, tel que la nature l’a fait est capable de bien vivre et de construire un monde humain en harmonie avec la nature. Les sages, qui, il y a 2500 ans ont presque simultanément à travers le monde énoncé la possible perfection humaine, n’ont pas vieilli, Socrate, Confucius, Lao zi, Buddha. Je crois à la perfectibilité de l’homme et non à sa transformation qui risque de devenir un cauchemar, car l’homme a aussi la terrible capacité de se faire du mal.
Car finalement, que nous promettent les transhumanistes dans ce monde à la fois mondialisé et disloqué ? Un monde encore plus « machinisé », non plus seulement à l’extérieur de nous-mêmes mais en nous-mêmes, un monde encore plus inégalitaire et injuste où seul le 1% des ultra-riches de l’humanité pourra se permettre les interventions couteuses de la technologie pour vivre plus longtemps et sans maladies, pour devenir encore plus puissants sur le plan de l’habilité à faire du profit mais sans doute pas devenus plus sages et plus compatissants car la technologie ne vise que le quantitatif ( toujours plus vite, toujours plus fort) et non le qualitatif. L’idéologie transhumaniste est foncièrement ultra-libérale et individualiste, elle représente le courant dominant de l’actuelle mondialisation, elle est notre monde actuel à la puissance X . Pour les hommes transformés du transhumanisme, le reste de l’humanité sera la piétaille d’une race obsolète, non-transformée. Nouvelle forme de racisme à l’horizon.
Est-ce que ma vision épouvantable de la transformation de l’homme est aussi phantasmatique que la vision optimiste des transhumanistes ? Peut-être. La réalité est souvent un mélange des choses, le pire autant que le meilleur s’équilibrent. Mais je vois poindre les dangers. Je rêve d’une orientation différente.

Si l’idéal de perfectibilité morale de l’homme avait cours et devenait le moteur de l’évolution du monde, alors on investirait massivement dans l’éradication de la famine et de la pauvreté sur terre, on investirait massivement dans la recherche sur les énergies renouvelables et on développerait une science des équilibres naturels et une technologie en lien avec les lois de la nature. Avec le transhumanisme, on fait fausse route comme on l’a fait au cours de la révolution industrielle. Il faut changer de paradigme, non plus celui d’un progrès indéfini et sans but humain, mais celui de la nature comme fondement et horizon de notre existence. Ce serait la révolution qui sauverait l’homme et la vie sur terre où la nature extérieure aussi bien qu’intérieure nous a offert les moyens de bien vivre.

C’est à nous, citoyens du monde d’orienter l’évolution vers le meilleur et de nous méfier de la foi naïve en la science, pour ne pas dire de la superstition du progrès technique qui est loin d’être nécessairement un progrès humain.

Avril 2016

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