« L’histoire de Poncia », de Conceição Evaristo

histoire_de_ponciaConceição Evaristo peut, à juste titre, être considérée comme l’une des plus importantes voix de la littérature afro-brésilienne, et plus particulièrement des femmes afro-descendantes au Brésil. Elle récupère une mémoire collective effacée par le discours colonial, et y mêle l’histoire non officielle et la mémoire individuelle. conceicao_evaristo
Née en 1946, deuxième enfant d’une famille de neuf, elle passe les premières années de sa vie dans une favela de Belo Horizonte (Minais Gerais). Avec le temps, bicoques en bois et habitants furent déplacés, l’avenue fut prolongée, de nouveaux immeubles virent le jour et les impasses et ruelles de l’enfance trouvèrent pour unique refuge la mémoire affective de la future écrivaine…
Malgré les difficultés, Conceição termine sa scolarité dans les écoles publiques et passe le concours d’institutrice en 1971.
Elle déménage quelques années plus tard à Rio de Janeiro, où elle fera toute sa carrière dans les écoles élémentaires publiques. Elle reprend ses études à 40 ans passés, et obtient un Doctorat en littérature comparée en 2011⋅
Elle commence à publier ses nouvelles et poèmes dans les années 1990, dans une anthologie annuelle de référence, Cadernos Negros, qui rassemble des textes d’écrivains afro-brésiliens⋅
L’histoire de Poncia, son premier roman, a été publié au Brésil en 2003 et a été traduit en anglais (américain) et espagnol. Il est aujourd’hui régulièrement mis au programme du baccalauréat brésilien (le vestibular) et a été vendu à plus de 20 000 exemplaires. Par ailleurs, ses nouvelles font partie d’anthologies publiées dans le monde entier (Allemagne, Etats-Unis, Afrique du Sud, Angola, etc.)

Très engagée politiquement et socialement, Conceição est de toutes les luttes dès lors qu’il s’agit de la défense des afro-descendants, des femmes et de la culture afro-brésilienne.

La préface de L’histoire de Poncia.
Je suis fille de l’état du Minas Gerais, )lle de cette ville où je me tiens devant vous aujourd’hui. D’après mon acte de naissance, je suis née le 29 novembre 1946. Cette information a dû être fournie par ma mère, Joana Jose)na Evaristo, lorsqu’elle a déclaré ma naissance, donc je pense qu’elle est authentique. Maman, aujourd’hui âgée de 85 ans, n’a jamais menti. Je suppose également qu’elle a dû faire seule cette déclaration, en possession du document de la Sainte Maison de la Miséricorde de Belo Horizonte. Une attestation indiquant la naissance d’un bébé de sexe féminin de couleur brune2, fille de madame … – ma mère. J’ai gardé pendant longtemps cet acte de naissance avec moi. Cette «<couleur brune<» m’a toujours impressionnée, depuis toute petite. Quelle était cette couleur qui m’appartenait? Question sans réponse. Mais je savais – oui, j’ai toujours su que je suis Noire.
Quant au fait d’être allée seule, ou plutôt en solitaire, à la mairie pour me déclarer, c’est une déduction que je tire à partir de quelques faits relatifs à la vie de mon père. D’ailleurs, de mon père, je ne sais que peu, très peu.
En revanche, j’en sais plus sur celui que je considère comme mon vrai père. Je connais son nom complet, Anibal Vitorino, et sa profession, maçon. Quand mon beau-père Anibal est arrivé dans nos vies, ma mère élevait seule ses quatre )lles. Maria-Inês Evaristo, Maria-Angélica Evaristo, Maria da Conceição Evaristo et Maria de Lourdes Evaristo. Tendre époque… Ma mère fut pour moi l’une des choses les plus douces de mon enfance. Son bonheur était ce qui comptait le plus pour moi. Désespoir, culpabilité et impuissance m’assaillaient lorsque
je la voyais souffrir. Maman pleurait beaucoup autrefois, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui – elle coule une vieillesse tranquille, aux côtés de mon beau-père. Après ses quatre )lles, maman a donné naissance à cinq garçons, mes frères,fils de mon beau-père.
L’absence de père fut quelque peu allégée par la présence de mon beau-père. Mais ce sont mes deux mères qui contribuèrent réellement à atténuer le vide paternel. À sept ans, je suis allée vivre chez la sœur aînée de maman, tante Maria-Filomena da Silva, mariée à Antonio João da Silva, oncle Toto, deux fois veuf. Ils n’avaient pas d’enfants. Je suis allée vivre chez eux pour que ma mère ait une bouche de moins à nourrir. Ils étaient moins nécessiteux. Oncle Toto était maçon et tante Lia blanchisseuse, comme ma mère. Les conditions de vie un peu meilleures dont je jouis chez eux me donnèrent la possibilité d’étudier. Mes sœurs, elles, affrontèrent de plus grandes difficultés.
Mère blanchisseuse, tante blanchisseuse… Des femmes redoutablement efficaces pour réaliser toutes les tâches domestiques. Cuisiner, ranger, repasser, élever les enfants… Depuis toute petite, j’ai appris à prendre soin du corps de l’autre.
C’est à huit ans que j’obtins mon premier emploi domestique – le premier d’une longue série. Je travaillais chez mes patronnes. J’accompagnais mes frères, mes sœurs et les enfants des voisins à l’école. J’aidais tout ce petit monde aux devoirs – empochant par la même occasion quelques sous. Je prêtais main forte à ma mère et à ma tante ; j’allais chercher les paquets de linge sale, je lavais le tout, et ramenais les balluchons chez les patronnes. J’ai même échangé avec certains professeurs des heures de tâches ménagères contre des cours particuliers, leur attention à l’école et surtout des livres – toujours didactiques – pour moi, mes soeurs et mes frères.
Gagner un peu d’argent avec les restes des riches que nous ramassions dans les poubelles fut aussi un mode de survie que nous avons expérimenté.
Quand Quarto de despejo [Le Dépotoir], le journal de Maria Carolina de Jésus, fut publié en 1960, causant un vif émoi chez les lecteurs des classes favorisées brésiliennes, nous nous identifiâmes immédiatement à l’auteure. Comme Carolina Maria de Jesus dans les rues de São Paulo, nous connaissions dans celles de Belo Horizonte l’odeur et la saveur des poubelles, mais aussi le plaisir que les restes des riches pouvaient procurer. Manquant des choses essentielles au quotidien, les excédents des uns – presque toujours construits sur la misère des autres – revenaient humblement entre nos mains. Les restes…

1 Discours prononcé lors d’un colloque de littérature (université UFMG, Belo Horizonte, Minas Gerais, mai 2009).
2 L’adjectif «<brun(e)<», pardo(a), est souvent utilisé au Brésil pour décrire la couleur d’une personne et éviter l´adjectif «<noir<». La couleur de peau est indiquée sur les documents d’identité brésiliens.
Conceição Evaristo
Belo Horizonte, mai 2009

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