Les territoires radiographiques

thomarel_clement-400—Dossier de presse —
Philippe Thomarel
Exposition individuelle
8 août – 14 septembre 2014
9h-18h, entrée libre
Habitation Clément, Case à Léo
« La peinture de Philippe Thomarel manifeste en fait une violence contenue, maîtrisée, une sensorialité juste, intelligente, à la mesure du tempérament de cet artiste et de ses préoccupations affectives et sociales« 

Philippe Thomarel est né en 1964 à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe. Il a durant son adolescence vécu à la tour Gabarre 1 située près d’un petit port de pêche et d’un pont aujourd’hui désuet, hors d’usage, mais qui facilita le trafic routier, les échanges de toutes sortes entre les deux rives principales qui séparent le nord et le sud de l’île⋅ Il convient de rappeler que les tours de la Gabarre dans le quartier de Lauricisque furent construites, posées sur une ancienne mangrove⋅
Ce quartier modeste, populaire, décrié, depuis lors bien réhabilité, est aujourd’hui apprécié, vivant, agréable, après avoir été mis de côté par les commerçants et les petits bourgeois locaux. C’est probablement de cette expérience, du fond d’une mémoire lancinante, du souvenir nostalgique d’une enfance perdue, du retour d’une douleur que surgissent les méditations picturales de Thomarel sur les ponts et les mangroves[…].

Le travail de ce peintre exprime un désenchantement saisissant par la présentation de visages baissés, une souffrance inhérente aux regards, ainsi que la proximité des plans, et une certaine cruauté due à certains angles de vue en plongée. Thomarel par ces moyens-là exprime aussi un désir de confrontation directe avec l’image d’une déchéance, mais également avec les regardeurs de tableaux.
[…] Philippe Thomarel est un artiste peintre qui ne néglige ni la plasticité globale de l’œuvre, ni le regard particulier des individus qu’il étudie, car l’expression du regard et son traitement pictural demeure une énigme pour l’homme comme pour l’artiste qui ose l’aborder.
D’après un texte de Christian Bracy, critique d’art
soirée – rencontre
Mercredi 6 août à 19h, en présence de l’artiste et Bruno Pédurand, plasticien Dimanche – découverte
24 août à 10h, avec Bruno Pédurand
L’entrée aux activités de la Fondation Clément est gratuite.


 

 Texte de Christian Bracy, critique d’art

Une attention soutenue à la peinture de Philippe Thomarel nous enjoint à penser que ce n’est sans doute pas l’emploi unique du noir et du blanc qui la caractérise mais plutôt l’émergence entre ces deux teintes d’un troisième élément, le gris résultant de leur mélange approprié au gré des nécessités d’un traitement de leurs modulations. Le peintre approprie une texture veloutée ou bien selon l’humeur jaillissante une matière râpeuse, notamment pour manifester la douceur d’un entredeux, ou pour exprimer une lumière forte. Alors qu’ailleurs c’est par le contraste maximum des deux couleurs de base précitées, un noir et un blanc abrupts, qui conditionne la franchise des coups de brosses emportés. La peinture de Philippe Thomarel manifeste en fait une violence contenue, maîtrisée, une sensorialité juste, intelligente, à la mesure du tempérament de cet artiste et de ses préoccupations affectives et sociales.

Le lieu d’origine, condition première d’une expression :
Philippe Thomarel a durant son adolescence vécu à Pointe-à-Pitre à la tour Gabarre 1 située près d’un petit port de pêche et d’un pont aujourd’hui désuet, hors d’usage, mais qui facilita le trafic routier, les échanges de toutes sortes entre les deux rives principales qui séparent le nord et le sud de l’île. Il convient de rappeler que les tours de la Gabarre dans le quartier de Lauricisque furent construites, posées sur une ancienne mangrove. Ce quartier modeste, populaire, décrié, depuis lors bien réhabilité, est aujourd’hui apprécié, vivant, agréable, après avoir été mis de côté par les commerçants et les petits bourgeois locaux. C’est probablement de cette expérience, du fond d’une mémoire lancinante, du souvenir nostalgique d’une enfance perdue, du retour d’une douleur que surgissent les méditations picturales de Thomarel sur les ponts et les mangroves. Le vieux quartier de Lauricisque qui a pris de l’envergure, une extension dénommée aujourd’hui Bergevin, fut autrefois assez folklorique, hanté par des figures célèbres de « vieux nègres » joueurs de dés, jouant du rasoir et du couteau sous les effets de la colère et du rhum blanc bu cul-sec.

Visages mémorisés, portraits transfigurés :
Le travail de ce peintre exprime un désenchantement saisissant par la présentation de visages baissés, une souffrance inhérente aux regards, ainsi que la proximité des plans, et une certaine cruauté due à certains angles de vue en plongée. Thomarel par ces moyens-là exprime aussi un désir de confrontation directe avec l’image d’une déchéance, mais également avec les regardeurs de tableaux. Il manifeste un besoin viscéral de rencontre et de dialogue par la proximité même de son rendu pictural. C’est sans doute aussi par la connaissance intime des rues peu, ou très mal fréquentées de l’ancien quartier de Lauricisque, des douleurs et des petits bonheurs quotidiens des familles modestes et « décasées » des faubourgs de Pointe-à-Pitre ville nouvellement urbanisée, que remonte aujourd’hui son chromatisme constitué par l’articulation du noir, du blanc et du gris ; ainsi que sa vision des ponts posés sur des mangroves.
Contrairement à ses portraits les ponts que peint Philippe Thomarel sont vus à distance. L’artiste questionne le rapport entre la proximité et le lointain ; ses ponts appartiennent à une remémoration du passé ; ils correspondent à un besoin de dépassement des contraintes existentielles. L’image des ponts – rompus – de la rupture est selon moi celle d’un désir de résolution des conflits ; d’apaisement des tensions internes. Dans son cas précis Philippe Thomarel illustre parfaitement ce propos du philosophe Giorgio Colli : « l’art est une expression culminante ».

Questionnement au sujet de l’absence de représentation du regard dans l’art contemporain, et de son retour dans la peinture actuelle :
La peinture figurative moderne à partir du cubisme de Picasso et Braque jusqu’à la plastique décorative romantique, mélancolique et sophistiquée d’un Klimt semble avoir sapé le désir de représenter le regard dans l’art du portrait. Ceci bien sûr à l’exception des expressionnistes tels que Kirchner, Goerg, Egon Schiele ou Kokoschka, voire d’un sculpteur aussi singulier que Giacometti. Il semble que cette absence d’expression du sentiment d’un modèle individuel soit dans ce type d’organisation picturale, reportée principalement sur le traitement du corps, des textures et des couleurs ; en somme par l’économie générale des tableaux peints. Les créateurs actuels semblent être convaincus de la supériorité de ce mode opératoire, d’autant que beaucoup sinon tous ont renoncé à la notion de genre artistique, du portrait donc.
Pourtant la question du regard, de l’expression psychologique du modèle représenté est-elle définitivement résolue ? L’expression du désenchantement, de la douleur, de la déchéance d’un sujet individuel, tout cela est transcrit par le traitement plastique global de la surface peinte, c’est-à-dire par la touche, les contrastes, le chromatisme, le rythme, la composition ; ce mode opératoire remplace-t-il, exprime-t-il mieux et en totalité la vérité d’une situation sociale dramatique, le désarroi d’un être tourmenté ou amoureux ?.
Philippe Thomarel est un artiste peintre qui ne néglige ni la plasticité globale de l’œuvre, ni le regard particulier des individus qu’il étudie, car l’expression du regard et son traitement pictural demeure une énigme pour l’homme comme pour l’artiste qui ose l’aborder.

Le chien, métaphore d’une société en dérive :
La présence des chiens dans la peinture de Philippe Thomarel semble indiquer selon leur attitude, leur situation dans l’espace pictural le recueillement ou l’égarement. On les voit parfois regroupés autour d’une sorte de berceau où repose un chiot. Dans d’autres représentations, ils sont isolés, flottant dans l’espace, voire renversés, comme poussés par un vent très fort. L’ambiance pour le coup est assez surréaliste. Ces chiens portent parfois une collerette, ont même la tête enfouie à l’intérieur ; certains d’entre eux portent un chapeau napoléonien en papier, comme les fous.
Dans l’ensemble de ces compositions, les chiens paraissent égarés, fuyants, étonnés ou dépités, à la dérive et peut-être en quête d’une direction à prendre, à la recherche de leur propre centre intérieur et d’un sens transcendant ?
Christian Bracy, critique d’art – AICA France, mai 2014.

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