« Les Sauveurs » de Ricardo Prieto : le mieux est l’ennemi du bien

—Par Roland Sabra —

Mise en scène de Ruddy Sylaire

 

 

Ricardo Priéto

 

« Dans le décor spectaculaire, le regard ne rencontre que les choses et leur prix. « 

 

Graffiti de Mai 68

 

 

 

 

Une rencontre miraculeuse, en pleine rue, va transformer, bouleverser et finalement détruire une famille en proie aux difficultés ordinaires de la vie. Problèmes d’argent récurrents, des difficultés relationnelles entre parents et enfants, bref le pain quotidien de beaucoup. Croyant faire le bonheur de tous le Père  de la famille Florès,  de sous-louer à M. Fergodlivio  une chambre dans la maison familiale, à des conditions pécuniaires qui défient tout entendement : 20 000 euros par mois. Trop beau pour être vrai! Le locataire va très vite se révéler être un tyran, exigeant, pour commencer que disparaissent de la maison, les petits riens , les petits plus qui rendaient acceptables ce qui ne l’était pas. Doivent donc disparaitre plantes, fleurs, oiseaux, alimentation locale et d’une façon plus générale tout ce qui renvoyait aux coutumes de la maisonnée. Le fils, Jorge Florés, en rébellion contre le père, rien d’extraordinaire à cela, sera le premier à partir, avant que le despote n’oblige le père  à punir, en la frappant, la mère accusée d’avoir désobéi aux ordres du locataire, étape  dans une descente aux enfers qui se conclura par l’élimination physique de la gêneuse!

« Les sauveurs » est donc une métaphore de la domination économique, de la déculturation, en un mot de la colonisation. La marchandisation de la vie comme illustration du triomphe de l’aliénation dans des rapports  réduits à du quantifiable, du signe  monétaire. Peut-on vendre son identité? Chacun des membres de la famille  incarnera l’une des attitudes possibles, la révolte, le compromis, l’acceptation, la soumission.

La pièce est de Ricardo Prieto, un romancier, dramaturge et poète uruguayen, né en 1943. Il s’inscrit dans la lignée des auteurs, qui comme Beckett ou Ionesco émargent au théâtre de l’étrange et de l’absurde en brisant les limites du réalisme. L’humour est noir et le rire s’étrangle dans l’intensité dramatique du propos. Un très beau texte que nous fait découvrir le metteur en scène.

Mais alors que dire de la  mise en scène de Ruddy Sylaire? Plutôt réussie, elle s’appuie sur une scénographie minimaliste, claire, limpide  de Ludwin Lopez et un travail de lumière de qualité signé Marc Olivier René. Le rythme, le tempo de la pièce sont enlevés. Le metteur en scène, féminise le rôle de Jorge, le fils, en le faisant tenir par une jeune débutante martiniquaise, Gloriah Bonheur, ce qui prête à un quiproquo quand celui-ci parle de sa « fiancée ». Pourquoi ne pas avoir demandé à la jeune comédienne de s’habiller en garçon? Un rôle masculin joué par une femme ce ne serait-pas la première fois au théâtre!. L’étendu du jeu de scène de la débutante n’est pas très grand, elle a par exemple une fâcheuse tendance à grimper systématiquement sur les quelques meubles du plateau, façon Ruddy Sylaire (!), et à « se la jouer » agressive d’un bout à l’autre de sa prestation, sans nuance aucune. Il est vrai qu’elle débute. Caroline Savard dans le rôle d’Andréa, la « fiancée » de Jorge, ne s’en tire pas trop mal. Christian Charles, que l’on avait pas vu depuis longtemps (« La ka espéré Godot« ?) tient le rôle de M. Florès. Le soir de la première le costume était encore un peu grand pour lui, sans que cela soit désespérant car ce comédien  a quelques heures de scènes derrière lui et il a la capacité d’endosser pleinement son personnage. Ricardo Miranda dans le rôle de Fergodlivio, le locataire despote, confirme prestation après prestation l’opinion que sa vocation est davantage la mise en scène que le jeu de comédien. Seule tire vraiment son épingle du jeu Astrid Mercier capable de passer d’un registre à un autre avec une  grande crédibilité. Elle porte la pièce de bout en bout.

Ruddy Sylaire a fait un choix judicieux quant au texte qu’il a voulu monter, il s’est entouré d’une équipe de  régie sans défaut,  la seule  faiblesse se situe du côté de la troupe, ce qui n’est pas rédhibitoire tant les marges de progression sont grandes. A revoir donc

 

 

Roland Sabra

« Les Sauveurs » de Ricardo Prieto
Mise en scène Rudy sylaire
Par ordre d’apparition
La Mère : Astrid Mercier
Jorge : Gloriah Bonheur
Le Père : Christian Charles
Andréa : Caroline Savard

Création et Régie lumière : Marc Olivier René
Scénographie et affiche : Ludwin Lopez
Costume : Catherine Mathis