Les Parcours du patrimoine

— Par Michel Herland —

Volens nolens, la Martinique est contrainte de jouer la carte du tourisme. Or, en plus de ses plages propres au farniente et de sa nature sauvage propice aux randonnées, notre île a la chance de disposer d’un patrimoine culturel remarquable hérité de son histoire, patrimoine immatériel (musique, danse, littérature) et matériel (bâtiments et œuvres d’art). En attendant la création d’un musée rassemblant les œuvres saillantes des principaux plasticiens martiniquais (car la riche collection de la Fondation Clément n’est pas exposée en permanence), en attendant l’ouverture d’un musée Césaire digne de ce nom (puisque l’on ne peut visiter aujourd’hui que son ancien bureau à la mairie, certes émouvant mais réduit à peu de choses), ou pourquoi pas un musée Césaire-Fanon-Glissant et pourquoi pas celui-ci dans la maison[i] du député-maire, il reste le patrimoine bâti, par nature inamovible. Pas toujours, certes, dans l’état que l’on voudrait (combien de cases en bois ti-baume en train de pourrir lentement ?), même s’il faut reconnaître que les mentalités ont progressé, que l’on se montre désormais plus soucieux de préserver et de rénover ce qui existe qu’on ne le fut, naguère, quand on détruisait des trésors architecturaux (certes souvent modestes mais des trésors quand même) pour construire à leur place des bâtiments dépourvus autant d’âme que de charme. On le fait encore, hélas !, cependant certains maires, au moins, semblent un peu plus conscients du fait que la préservation de leur patrimoine communal est non seulement conforme à l’intérêt général mais que leurs administrés (promoteurs et autres maîtres d’ouvrages exclus, évidemment) leur en sont reconnaissants.

Le patrimoine bâti martiniquais a déjà été recensé dans un ouvrage publié par les soins de la Fondation Clément[ii]. Les monuments les plus remarquables sont mis en exergue dans un ouvrage édité à l’initiative de DAC de Martinique et à nouveau de la Fondation Clément[iii]. On pourrait croire cela suffisant. Pourtant la nouvelle série de publications regroupées sous l’intitulé « Parcours du patrimoine »[iv] est loin d’être inutile. Car il ne s’agit plus de gros et beaux livres qu’on n’envisagerait pas de sortir de chez soi mais de petits guides aisément maniables avec tout ce qu’il faut (plans et numéros) pour repérer facilement tel ou tel élément patrimonial que l’on souhaite examiner de plus près. Les touristes habitués à manier ce genre d’ouvrages seront comblés mais gageons que les Martiniquais eux-mêmes en feront bon usage, par exemple les professeurs désireux de faire découvrir à leurs élèves les curiosités de leur commune et, bien sûr, tous les curieux ainsi que les nostalgiques du passé.

Cinq « Parcours du patrimoine » sont disponibles pour le moment, soit, du sud au nord, 1) Saint-Anne, Le Marin (par Jean-Sébastien Guibert), 2) Rivière-Pilote, Le Saint-Esprit (par Christophe Charlery), 3) Schoelcher (par Roméo Terral), 4) Case-Pilote, Bellefontaine, Le Morne-Vert, Le Carbet (par Jessica Pierre-Louis, 5) Le Morne-Rouge, Fonds-Saint-Denis, L’Ajoupa-Bouillon (par Jeanne Cazassus-Bérard). Un sixième guide est doublement atypique car bilingue français-anglais et ne concernant que deux édifices, tous deux conçus par le même architecte Germain Olivier, à savoir la préfecture et la villa (ou « château ») Aubéry (par Odile Foucaud et Christophe Bourel Le Guilloux). Les guides sont illustrés de photographies originales d’Anne Chopin et de documents d’archives.

Bien qu’ils ne comptent que quelques dizaines de pages, puisque ils se limitent chacun à une petite portion de la Martinique, ces guides peuvent élargir le spectre. Pour ne prendre que l’exemple de la commune de Case Pilote, le chapitre qui lui est consacré dans le quatrième « Parcours » recense plusieurs maisons absentes dans Le Patrimoine des communes, en particulier la très curieuse villa Nono, sur la plage, typique avec ses auvents en béton du style moderniste en vogue en Martinique des années 20 aux années soixante du XXe siècle. Par contre, si l’habitation L’Enclos (ex auberge du Varé, inscrite au titre des monuments historiques en 2011) figure bien dans le « Parcours », on s’étonne de ne pas y voir apparaître une autre grand’case (présente dans Le Patrimoine des communes), à savoir l’habitation Maniba, d’autant qu’elle se trouve, elle, en parfait état.

La comparaison des deux ouvrages permet également de mesurer la transformation de certains bâtiments en presque deux décennies (1998-2016), que ce soit dans un sens ou dans l’autre : dégradation comme, par exemple, l’habitation L’Enclos qui attend toujours d’être rénovée, malgré le classement ; ou transfiguration spectaculaire, comme, encore à Case-Pilote, le presbytère récemment restauré dans les règles de l’art. Il n’en va pas toujours ainsi. Ainsi, toujours dans cette commune, le marché vient de faire l’objet d’une rénovation drastique qui gomme le caractère moderniste de la construction de 1925.

On pourrait continuer indéfiniment ces comparaisons… qui ne sont possibles que grâce à ces nouveaux guides, lesquels seront utiles aux touristes comme aux professionnels du tourisme, aux enseignants, et à tous les martiniquais qui s’intéressent à un titre ou à un autre à l’histoire de leur île… ou simplement à celle de leur commune.

 

[i] Inscrite au titre des monuments historiques en 2013.

[ii][ii] Le Patrimoine des communes de la Martinique, sans lieu, Attique Éditions, 2e éd. 2013 (1ère éd. 1998). Cf. Michel Herland, http://www.madinin-art.net/valoriser-le-patrimoine-martiniquais-la-fondation-clement-et-hernando-de-soto/

[iii] 101 Monuments historiques – Martinique, Paris, HC Éditions, 2014, 104 p. Cf. Michel Herland, http://www.madinin-art.net/martinique-monumentale/

[iv] Parcours du patrimoine, DAC de Martinique et Fondation Clément. Six ouvrages comptant entre 48 et 96 pages parus en 2016 aux Éditions Hervé Chopin. 8 € chacun.