Les nouvelles pratiques du commun, stratégie pour la reconstruction d’une alternative au capitalisme

— Par André Tosel, philosophe —

communCommun, de Pierre Dardot et Christian Laval. Éditions la Découverte, 600 p., 25 euros.  L’ouvrage, très important, entend procéder 
à une refonte théorique d’une pensée et d’une stratégie qui osent se dire révolutionnaires, en prise avec les transformations de la société capitaliste mondialisée. Cette refonte s’opère autour du « commun », ni bien commun spirituel, ni bien commun chose matérielle, ni encore substance (propriété privée ou publique). Il relève de « l’inappropriable » et renvoie à une activité de mise en commun dont la référence est ce qui est juste pour tous ceux qui y participent. Il veut dépasser le dualisme marché capitaliste et État souverain. Avec la place laissée à l’autoformation, les individus sont capables 
de transformer l’un et l’autre et de se transformer 
dans le sens de l’autonomie individuelle et collective en s’inscrivant dans des institutions originales d’émancipation. La réflexion est sévère avec 
le marxisme du XXe siècle qui a fait du communisme une appropriation publique séparée de l’activité commune de délibération et de décision. Il s’agit 
de lever « l’hypothèque communiste » bureaucratique d’État. Seul compte le Marx de la « praxis instituante ». Il faut réévaluer l’expérience occultée du commun qui a marqué le mouvement ouvrier (Commune de Paris, syndicats et économie sociale) et, du même coup, restituer les figures du socialisme associatif de Proudhon à Jaurès, de Mauss à Castoriadis. L’urgence du commun est sensible de divers côtés. Negri et Hardt y voient, avec le capitalisme cognitif, un produit spontané pouvant 
se traduire en forme communiste. C’est oublier que 
le commun des connaissances et d’Internet reste soumis à la logique du capital. Les altermondialistes convergent autour de la recherche d’une économie politique des communs (« commons » au sens anglo-saxon). Au sein du courant libéral, ce sont les travaux d’Elinor Ostrom. L’ouvrage s’interroge sur son degré de compatibilité avec 
le néolibéralisme. La recherche se fait archéologique. C’est toute une histoire des formes juridiques de 
la propriété. Chapitres riches qui font apparaître
les efforts des masses subalternes inventant un droit coutumier de la pauvreté. La mondialisation peut être pensée comme une expropriation gigantesque, mais cette comparaison n’a de valeur qu’analogique. L’ouvrage explore les principes d’une « politique du commun » : 
une nouvelle praxis instituante, révolution spécifique 
qui exclut l’acte résolutoire définitif mais aussi 
la prise et la transformation par en haut du pouvoir d’État. La révolution du commun est moléculaire, interminable et autocritique ; elle vise la pénétration des pratiques. Elle ne passe pas par la suppression du marché, mais par des mises en commun (entreprises, services publics) et par une réorganisation sociale et politique fédérative et horizontale. La perspective est celle d’une fédération transnationale des communs, non un improbable et dangereux État mondial. Cette politique a pour ressource la vertu des droits subjectifs de tous ceux qui mettent en commun leurs pratiques, et non l’action d’entités nationales-populaires (au sens gramscien). Cette imposante étude mérite une grande attention. Des remarques critiques viennent à l’esprit et se veulent constructives. La charge contre le public étatique semble trop virulente. Jusqu’où aller dans la désubstantialisation des biens communs, au risque de rendre évanescent le commun ? Et quelle incidence peut avoir une politique du commun pour neutraliser la soumission des pratiques humaines par le capital ? L’émancipation communiste n’est-elle pas d’abord 
la remise en cause de cette soumission ?

philosophe

André Tosel,