« Les enfants de la mer » de José Exélis : boat people à la dérive

 — Par Roland Sabra —

Photo Philippe Bourgade

 

Adaptation et mise en scène de José Exélis d’une nouvelle d’Edwidge Danticat

Chorégraphie Suzy Manyri

Distribution : Keziah Apuzen, Yna Boulangé, Catherine Césaire, Amel Aïdoudi, Suzy Manyri, Françoise Prospa, Suzy Singa Création lumière : Dominique Guesdon, Valéry Pétris

Scénographie : Dominique Guesdon

Costumes : Alice Jasmin

Production : Compagnie les enfants de la mer Création 2003, avec le soutien de la Direction Régionale des Affaires Culturelles de la Martinique – Ministère de la Culture et de la Communication, du Conseil Régional de la Martinique, de l’Office de la culture du Lamentin.

Exélis et Guesdon ? Ces deux là font la paire pour « les enfants de la mer »! Ils nous emmènent aux limites du théâtre dans un univers de fragmentations, d’éclats de verre, de rires et de larmes multicolores, de condensés de vies broyées mais toujours prêtes à rejaillir, protéiformes, multiples et indomptables. Boat-people à la dérive vers Miami Elles sont sept sur scène, sur un bateau sur un radeau, sept comme les jours de la création, les portes de Thèbes, les plaies d’Egypte, les branches du chandelier, les péchés capitaux ou les merveilles du monde. Elles nous comptent et nous content encore, les dictatures ordinaires d’Haïti et d’ailleurs, les assassinats, les viols, les incestes obligés sous la menace du fusil, l’espoir et l’espérance d’un autre monde qui fuit toujours à l’horizon. Mais ce sont des femmes. La vie est en elles, inexorable, pugnace, sourde, inflexible et si l’une se laisse couler dans les flots c’est parce la vie l’avait déjà quittée, bien avant d’embarquer sur le radeau. Elles nous parlent de la complicité, de la solidarité, de l’entraide, des liens d’amitié, de la douceur et de la tendresse entre femmes dans l’univers le plus extrème qui soit, dans un monde où les requins réels ou figurés les cernent, ou les fascistes pluriels et singuliers les traquent. Quand la famine les tenaille elles invitent au partage. Elles nous disent qu’elles se reconnaissent dans l’autre semblable et étranger. Tant qu’il y aura des femmes… rien ne sera définitivement perdu.


La bonne idée d’Exélis est d’utiliser des formes théâtrales elles aussi éclatées, d’être à la limite des genres, danse, chant, mime, conte créole, pour une épopée aux limites de la vie, pour un patchwork d’existences sur le fil du rasoir, au bord de cet abysse dévoreur. La forme utilisée est rarement gratuite, presque toujours en symbiose avec le propos de la scène dont elle contribue à l’émergence. Reste que si le texte initial est un récit non pensé pour le théâtre il doit être difficile de mieux faire et on attend, metteur en scène et scénographe dans un texte du « répertoire » ne serait-ce que pour les voir se colleter avec cette contrainte.


En attendant la paire Exélis-Guesdon s’aventure près des frontières, aux bornes de l’impossible, elle nous a proposé cette année un Othello réduit à un personnage, IAGO, et un essai de décloisonnement des arts de la scène à travers une subversion des différenciations entre espace du théâtre et espace de la cité dans « Les enfants de la mer ». Le spectacle commence dans la salle rejoint la scène retourne dans la salle et revient sur le plateau. Comment être plus didactique? Du bon travail!


Roland Sabra