Les économistes sont-ils des imposteurs?

— Par Aude Lancelin —

eco_imposture-2Ils influencent les politiques et ont remplacé philosophes, sociologues et historiens pour expliquer le monde. Daniel Cohen et Marcel Gauchet s’interrogent sur leurs pouvoirs, leurs mérites et leurs limites.

Hier encore on demandait à Claude Lévi-Strauss ou à Jean Baudrillard de déchiffrer l’avenir de notre civilisation, aujourd’hui on demande à Daniel Cohen ou à Jean Tirole, nouveau prix Nobel d’économie, de nous expliquer la panne de croissance. A quel moment a eu lieu la bascule ? Dans les cabinets ministériels, difficile d’entendre parler d’autre chose que de courbes et de chiffres. Chez les éditorialistes, on parle réduction de la dette et réforme du marché du travail avec la gravité intimidante de qui prétend remplacer l’argumentation par les équations.

Le ton BFM et l’esprit «Capital» – l’hebdo du business, pas celui de Marx – semblent avoir tout annexé. A l’économie, et quasi à elle seule désormais, on accorde le sérieux, le concret des choses, les clés du lendemain. Partout elle s’est peu à peu substituée à la délibération politique et aux visions non utilitaristes du monde.

Chez les jeunes économistes eux-mêmes, la révolte gronde d’ailleurs contre les prétentions écrasantes à la scientificité de leurs aînés néoclassiques. Un collectif d’étudiants français, le Peps (Pour un Enseignement pluraliste dans le Supérieur en Economie), réclame ainsi une refonte de l’enseignement de la matière, plus ouverte aux autres sciences humaines, tandis qu’un économiste australien, Steve Keen, fait paraître ces jours-ci «l’Imposture économique» aux Editions de l’Atelier, violente charge contre la prétention de sa discipline à prendre le contrôle des politiques sociales à travers le monde.

Dans les extraits publiés par «le Monde diplomatique» d’un livre à paraître le 30 octobre (1), Régis Debray s’inquiète lui aussi :
S’il y a une crise économique, l’économie est si peu en crise que son ombre portée gouverne aussi bien notre intimité que l’ensemble de notre vie publique et intellectuelle.

Et de regretter que nos mots eux-mêmes soient en train d’y laisser des plumes. «Chacun s’exprime à l’économie: il gère ses enfants, investit un lieu, affronte un challenge, souffre d’un déficit d’image, mais jouit d’un capital de relations.» Aujourd’hui «l’Obs» lance le débat en choisissant d’interroger radicalement ce phénomène si peu questionné: l’expansion de la vision économique du monde.

Aude Lancelin

(1) «L’Erreur de calcul», Editions du Cerf.

Lire Plus => Le débat entre Daniel Cohen et Marcel Gauchet sur l’Obs
http://bibliobs.nouvelobs.com/essais/20141031.OBS3818/les-economistes-sont-ils-des-imposteurs.html