Les contrevérités de la Manif pour tous

—Par Nicolas Gougain (Porte-parole de l’inter-LGBT) et Mathieu Nocent (Co-secrétaire de la commission politique de l’inter-LGBT) —

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Dans son édition du 11 avril, Le Monde publiait une publicité du mouvement « la Manif pour tous » qui milite activement contre l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe. Cette publicité contient des contrevérités sur lesquelles nous souhaitons revenir.

Aujourd’hui, plusieurs dizaines de milliers d’enfants vivent dans des familles homoparentales. Certaines se sont créées suite à la séparation d’un couple hétérosexuel à la faveur d’une recomposition familiale ; d’autres dont le nombre va croissant sont nées du projet parental d’un couple homosexuel ; d’autres enfin ont pour origine le projet parental commun de gays et de lesbiennes.

Deux liens de filiation ne pouvant être actuellement légalement constitués entre un enfant et deux adultes de même sexe, un seul des deux membres du couple qui a fondé le foyer est considéré comme étant le parent de l’enfant. L’autre n’a aucune existence légale – ni donc aucun des droits et des devoirs afférant à sa parenté sociale. Considérons par exemple un enfant déjà adopté par une femme vivant en couple avec une autre femme – ce qu’elle était tout à fait autorisée à faire, l’adoption étant ouverte en France aux célibataires. Cet enfant fut accueilli au sein du couple, il est élevé par ses deux mères, mais une seule d’entre elles est reconnue. Dans ce cas précis, le projet de loi tel qu’il est rédigé permettra à la deuxième mère de cet enfant d’adopter l’enfant du couple et d’être protégé au sein de sa famille de la même manière que peut l’être un enfant vivant dans un foyer hétéroparental.

Contrairement à ce que prétend le « tract publicitaire » de « la Manif pour tous », la loi ne va donc pas créer des « orphelins légaux de père ou de mère ». Il va leur reconnaître et leur donner le père ou la mère que le droit leur refuse aujourd’hui.

LES MÊMES CONDITIONS D’ACCÈS À L’ADOPTION

L’argument d’autorité selon lequel cette loi créerait un « droit à l’enfant » apparaît tout à fait incompréhensible au sujet d’un texte qui accorde aux couples homosexuels les mêmes droits qu’aux couples hétérosexuels, sauf à considérer que toute famille adoptive, qu’elle soit homoparentale ou hétéroparentale, s’est constituée sur la base d’un « droit à l’enfant ». De même, pourquoi considèrerait-on qu’un enfant adopté par un couple de même sexe serait l’objet d’un « trafic » ou d’une « marchandisation », du désir égoïste de ce couple – triste dessein que les opposants au projet de loi nous prédisent ? Il ne s’agit là à l’évidence que de disqualifier les couples de même sexe et de remettre en cause leur motivation et leur capacité à offrir une famille à un enfant. Rappelons que les couples homosexuels seront sujets aux mêmes conditions d’accès à l’adoption, et qu’il reviendra aux services et aux professionnels responsables de la délivrance des agréments de s’assurer que ces couples – de la même façon que les couples de sexe opposé – offriront un foyer accueillant à un enfant qui n’en a pas.

Les couples homosexuels mentiront-ils à leurs enfants adoptés sur leur filiation et leur origine ? Si par le passé un certain nombre de couples hétérosexuels adoptants omettaient de mentionner à leurs enfants qu’ils avaient été adoptés, la tendance s’est fortement inversée aujourd’hui. Comment décemment croire qu’un couple de même sexe pourra mentir sur la réalité sociale – et non biologique – de la filiation qui le lie à son enfant ? En quoi cette filiation sociale serait-elle moins valable, moins « véridique », plus « fictive » que celle d’un enfant adopté par deux parents de sexe opposé ?

Comme la majeure partie des parents adoptifs, les couples de même sexe expliqueront à leur enfant qu’il est d’abord né d’un homme et d’une femme qui ont été ses parents pour un temps, et qu’il a ensuite été accueilli dans sa nouvelle famille. Les possibilités d’accès de ces enfants à leur histoire personnelle ne seront ni plus ni moins les mêmes que celles des enfants adoptés par des couples hétérosexuels – c’est-à-dire non pas dépendantes de la forme d’adoption mais de la disponibilité, de la conservation et du contenu des documents dont disposeront les institutions qui auront servi d’intermédiaires lors de la procédure d’adoption.

50 ANS D’AVANCÉES POUR LES DROITS ET L’ÉGALITÉ

Enfin, pour le collectif « la Manif pour tous », « légaliser le mariage entre personnes de même sexe (…) ouvrira à la PMA (…) pour tous ceux qui veulent fabriquer des enfants sans relations sexuelles ». Nous rappellerons ici que les techniques de procréation médicalement assistée (PMA) sont déjà ouvertes aux couples hétérosexuels infertiles, qu’ils soient mariés ou non. Nous rappellerons également que les premières inséminations artificielles avec don de sperme ont été réalisées dans notre pays en 1972 et que naissent en France chaque année près de 50 000 enfants grâce aux techniques de PMA – en dehors de toute relation sexuelle. Ouvrir les techniques de PMA à toutes les femmes n’est qu’un prolongement de cet état de fait.

La médecine permet, dans le monde entier, à des hommes et des femmes de construire une famille dans laquelle ils accueillent des enfants dont ils s’engagent à être les parents – au-delà des liens de sang qui les lient à eux. Dans onze pays européens, les couples de femmes y ont accès. De nombreux enfants naissent ainsi en France chaque année du projet parental de couples de femmes. Lorsque la loi sera promulguée, l’Etat permettra à ces enfants d’avoir un lien de filiation avec leurs deux mères. Il reconnaîtra ainsi leur famille et les protégera des aléas de la vie. La République ne peut pas continuer à ignorer l’origine de ces familles en excluant les femmes homosexuelles de l’accès aux techniques médicales d’assistance à la procréation par ailleurs autorisées aux femmes hétérosexuelles – sauf à vouloir perpétuer une discrimination spécifique envers elles.

En 1967, la loi Neuwirth autorisait la fabrication et l’importation de contraceptifs et leur vente exclusive en pharmacie sur ordonnance médicale. En 1974 la loi Veil libéralisait la contraception et permettait notamment son remboursement par la sécurité sociale. Il y a 50 ans donc que sexualité et procréation sont déconnectées en France. La « parenté choisie » que la Manif pour tous et un certain nombre de députés UMP fustigent est une réalité et un progrès social depuis la démocratisation de ces moyens de contraception et de l’avortement. Ainsi, on est en droit de se demander si ce combat contre les droits des homosexuels, ce « mai 68 » à l’envers comme le défend le député Marc Le Fur, n’a pas pour ambition de remettre plus largement en cause 50 ans d’avancées pour les droits des femmes, pour les droits reproductifs et pour l’égalité entre les sexes.

Nicolas Gougain (Porte-parole de l’inter-LGBT) et Mathieu Nocent (Co-secrétaire de la commission politique de l’inter-LGBT)
Le Monde.fr | 23.04.2013 à 17h35