Les confidences de Joël Pommerat

— Par Alexis Campion —
Plébiscité dans le monde entier, Joël Pommerat évoque son succès et sa méthode à l’occasion du retour sur scène de ses contes de fées.
Leur esthétique sophistiquée, nourrie de clairs-obscurs ensorceleurs avec des acteurs habités et des décalages sonores saisissants, confère une puissance quasi cinématographique à chacun des spectacles de Joël Pommerat, tous marquants, tous très demandés. Ça ira (1) Fin de Louis, le dernier, est une géniale évocation de la Révolution française à l’aune de l’actuelle crise de la démocratie représentative. Trois fois récompensé aux Molières, le spectacle est en tournée avec sa troupe d’une quinzaine d’acteurs, dont certains sont des figures de la Compagnie Louis Brouillard (Agnès Berthon, Saadia Bentaïeb, Ruth Olaizola). Les contes de fées adaptés par Pommerat font aussi l’objet de reprises exceptionnelles : Le Petit Chaperon rouge dès cette semaine aux Bouffes-du-Nord, Cendrillon à partir du 25 mai à la Porte-Saint-Martin, puis Pinocchio, à redécouvrir en juillet au Festival d’Aix-en-Provence sous forme d’opéra contemporain, sur une musique de Philippe Boesmans.

L’engouement suscité par le théâtre de ce Roannais de 54 ans se vérifie aussi à l’étranger. En Allemagne, Ça ira inspire déjà quatre mises en scène différentes. La Réunification des deux Corées, Cet enfant et les fameux contes sont également produits jusqu’en Russie. Il ne s’en mêle pas, veille juste à ce que les traductions soient correctes. « Je n’ai pas d’ingérence à avoir sur des mises en scène que je ne vois pas, explique-t-il. Je ne raffole pas des déplacements et sans doute ai-je peur de me retrouver dans la situation inconfortable de l’auteur qui, après coup, doit dire ce qu’il en a pensé!
Autodidacte et solitaire

« J’ai décidé d’écrire pour le théâtre vers 23 ans, mais je n’en ai pas vécu avant 30 ans. J’ai donc fait d’autres boulots, comme veilleur de nuit dans un hôtel. Dès le départ, j’ai voulu être face à moi-même. Les maîtres, les profs, c’est sécurisant, mais ce n’est pas eux qui vont produire ce qu’on a à faire. Je voulais vivre de mon travail de créateur, pas rallier un sérail. Après, bien sûr, il y a les détonateurs comme Ariane Mnouchkine ou Claude Régy. Ils m’ont marqué pour leur démarche, leur rapport à l’institution. J’ai senti que leur philosophie était juste et belle à voir. Elle a sans doute influencé la voie que j’ai choisie, celle d’un répertoire contemporain avec des spectacles qui vivent sur plusieurs saisons.

Pour l’écriture, la solitude est essentielle. Bien sûr, mon écriture exige un travail d’expérimentation avec les acteurs. Pour Ça ira, on a travaillé en groupe près de six mois. Mais il y a eu aussi un an et demi seul. Je ne pourrais pas écrire qu’en communauté, cela ne marcherait pas. Il y a toujours un temps de préparation solitaire avant la réunion des équipes, et un autre après au cours duquel je débriefe, je mature. De préférence à la campagne, dans le Lot, où j’ai acheté une maison il y a trois ans, après avoir longtemps refusé l’idée de me poser. »
Les contes et l’imaginaire

« Des contes, qui conjuguent l’extraordinaire et le fantastique, j’en ai beaucoup lus. Je me souviens d’une collection intitulée Contes et Légendes populaires de… Je les avais quasiment tous empruntés à la bibliothèque de mon collège. S’ils sont toujours présents dans mon travail, c’est parce que ces histoires me touchent moi, adulte. A l’origine, ces récits n’étaient d’ailleurs pas destinés aux enfants, ils étaient imprégnés d’une violence et d’un imaginaire tout sauf léger.

Selon moi, Cendrillon est le conte des contes, traversé par les thèmes de la méchanceté, du désir et du deuil. C’est la question de la mort qui m’a donné envie de le monter. Peut-être aussi parce que j’aurais aimé, enfant, que l’on me parle ainsi de la mort… Le tout premier conte que j’ai réécrit, c’était Le Petit Chaperon rouge en 2004. Je l’avais fait pour une de mes filles et en pensant à ma mère, en voulant parler d’aujourd’hui à des enfants d’aujourd’hui, le plus simplement et le plus concrètement possible. Le désir et la peur de grandir, la solitude, la rencontre, c’est ce qui rend cette histoire si envoûtante, même si ces thèmes ne sont jamais abordés directement par les personnages. Pinocchio, c’est son côté effaré, naïf et ravi, en somme profondément théâtral, qui m’intéresse. Il séduit avec ses défauts. »

Psychanalyse et fausses pistes

« La psychanalyse n’est jamais étrangère à mes spectacles…

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« Le Petit Chaperon rouge », Théâtre des Bouffes du Nord, Paris (75018), du 2 au 20 mai. « Cendrillon », Théâtre de la Porte-Saint-Martin, Paris (75010), du 25 mai au 6 août. « Pinocchio », du 3 au 16 juillet, Festival d’Aix-en-Provence (13).