« Les chiens errants » : la beauté du désespoir

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 Il est le cinéaste des limbes, de la solitude urbaine, du désespoir moderne. Né en 1957, héritier revendiqué de la Nouvelle Vague française, petit frère des grands maîtres taïwanais Hou Hsiao-hsien et Edward Yang, qui ont placé, au milieu des années 1980, la petite île rebelle au cœur de la planète cinéphile, Tsai Ming-liang a pensé que ce nouveau long-métrage serait peut-être son dernier.

Gravement malade quand il en conçut le projet, au point qu’il pensait ses jours en danger, il avait rompu avec le cinéma, découragé par l’énergie démesurée que demande, aujourd’hui, la continuation d’une œuvre comme la sienne, mue par la seule croyance dans les puissances de son art. Cette condition n’a pas contribué à donner aux Chiens errants une tonalité riante, mais elle éclaire l’ambition de ce film sublime, qui organise la circulation entre le monde des vivants et celui des morts, entre espace physique et espace mental, entre rêve et réalité. Dès le premier plan, qui montre une femme, dans une pièce toute noire aux murs suintants, assise sur un lit où dorment deux beaux enfants, le spectateur est plongé dans un état de quasi-hypnose dont il ne sortira pas.

LA PAROLE RARE, LES PLANS LONGS

La parole, comme dans tous les films de ce grand artiste halluciné, est rare et les plans longs. Le spectateur s’abandonne au frémissement des feuilles, au mouvement d’une caresse sur un visage, au son de la pluie diluvienne qui emporte le film dans son flux, refabrique inconsciemment le hors-champ qui vibre aux bords du cadre. Lorsqu’il voit les lumières de la salle se rallumer après deux heures et dix-huit minutes de film qui ont passé en un claquement de doigts, c’est comme s’il avait été tiré d’un rêve.

Les Chiens errants met en scène un moment dans la vie de Hsiao-kang, personnage récurrent dans le cinéma de l’auteur, né de ses projections sur l’acteur Lee Kang-sheng. Depuis qu’il a vu le jour en 1989, dans le téléfilm Tous les coins du monde, cet Antoine Doisnel taïwanais revient dans chacun de ses films sous de nouveaux avatars, toujours plus ou moins déficients sur le plan social : jeune à mobylette des Rebelles du dieu néon (1992), employé de pompes funèbres dans Vive l’amour (1994), sans-abri dans I don’t Want to Sleep Alone (2007), cinéaste tournant au Louvre en proie aux inondations dans Visage (2009)…

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