L’éducation, ce grand corps malade

Par Gérard Courtois


  Le 9 octobre, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, François Hollande clôturait la concertation engagée durant l’été pour préparer la « refondation de l’école », cette promesse centrale de sa campagne. Et cette semaine, le ministre de l’éducation nationale consulte tous azimuts – enseignants, parents, collectivités locales, associations… – pour préparer une loi d’orientation et de programmation annoncée pour décembre.

Le président de la République a affiché son ambition : rien moins que réinventer un « projet éducatif », c’est-à-dire, « par définition, un projet de société ». Mais il n’a pas dissimulé la difficulté de la tâche : « Je n’ignore rien du scepticisme français, j’entends déjà les voix de ceux qui murmurent : encore une réforme. L’éducation nationale a, en effet, été échaudée. La France aussi. Que d’annonces ont été faites, aussi vite oubliées que solennellement formulées. »

On ne saurait mieux dire. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter Légifrance et d’y rechercher la trace de la précédente loi d’orientation socialiste sur l’éducation, celle du 10 juillet 1989. Que reste-t-il, formellement, de cette « loi Jospin », à l’époque déjà considérée comme une refondation ? Pratiquement rien. Seuls 2 de ses 36 articles ont survécu, dont celui, hautement symbolique, qui fixait l’objectif de conduire en dix ans 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat.

Tous les autres ont été abrogés depuis, au fil des incessantes réformes qui ont suivi et de la dizaine de ministres qui se sont succédé Rue de Grenelle. Le chef de l’Etat n’a donc pas tort de redouter le « scepticisme » : paralysée par mille intérêts et injonctions contradictoires, lassée des pétitions de principe sans lendemain, minée par la lassitude de bon nombre de ses acteurs, l’éducation nationale semble, depuis longtemps, s’être déformée plus qu’elle ne s’est réformée.

Et pas toujours pour le meilleur, comme le démontre le vigoureux rapport qui a conclu la concertation de ces derniers mois. Certes, l’Ecole a relevé le défi de la « massification », le nombre des jeunes diplômés a fortement augmenté en trente ans, permettant à la France de rejoindre la moyenne des pays les plus développés de l’OCDE, et le nombre de sorties sans diplôme a fortement baissé depuis 1980 (18 % contre 30 %), même s’il reste encore très élevé (140 000 par an).

Mais au-delà, les signaux d’alarme se multiplient. « Si davantage de jeunes sont diplômés, les objectifs affichés en la matière depuis les années 1980 n’ont pas été atteints, le niveau moyen des acquis scolaires stagne et, surtout, les inégalités scolaires [sociales autant que territoriales] progressent », soulignent les rapporteurs. Ecole à plusieurs vitesses, consumérisme scolaire, défaillances du système et action publique anarchique : tout contribue à éroder la « promesse républicaine » de l’école conçue « comme un intégrateur social et un creuset national ».

La tâche est donc très lourde, complexe, mais essentielle : « restaurer la confiance » et, comme disait déjà la loi de 1989, faire de l’éducation « la première priorité nationale ». La feuille de route présidentielle a posé les bases de cette refondation : « Un encadrement plus élevé » (grâce aux 60 000 postes promis au cours du quinquennat), « des professeurs mieux formés » (grâce aux écoles supérieures du professorat qui, dès la rentrée 2013, devront restaurer une véritable formation professionnelle aux enseignants), et « un budget sanctuarisé » (comme en témoigne le projet de loi de finances pour 2013).

A quoi s’ajoute le choix fermement assumé de commencer par le commencement et de faire porter l’effort principal sur l’école primaire, où se joue le destin scolaire des élèves. D’où l’adoption du principe « plus de maîtres que de classes », pour renforcer le suivi personnalisé et prévenir les premiers retards, souvent irréversibles. D’où également la suppression de la semaine de quatre jours, unanimement fustigée depuis 2008, et le retour à la semaine de quatre jours et demi et à des journées de cinq heures, prolongées par des activités périscolaires et un temps consacré à la réalisation des devoirs.

Sous réserve d’une solide mise en œuvre, ces orientations sont convaincantes. Mais elles ne lèvent pas quelques interrogations majeures. La première porte sur la méthode. Quelques précédents fameux ont démontré que rien de solide ne peut se construire en matière d’éducation sans les acteurs principaux, et encore moins contre eux. On comprend donc le souci de ne pas ouvrir tous les chantiers en même temps, au risque de tétaniser ce grand corps malade.

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