Le tramway d’antan n’est plus!

— Par Roland Sabra —

En 1931, à l’Université de Columbia un jeune étudiant de tout juste vingt ans découvre dans l’œuvre théâtrale d’ August Strinberg un écho à ses propres obsessions de folie, tentation de l’alcoolisme, rejet des conventions sociales fascination pour un mysticisme visionnaire et ésotérique. Il sera écrivain lui aussi. Il décrira les passions d’un monde oppressant dans lequel les hommes, les femmes se désirent se déchirent, se haïssent parfois à leur insu dans des atmosphères élégantes et vulgaires entre raffinement et sauvagerie. Il dira en utilisant l’écriture comme sa meilleure thérapie la violence des sentiments balancés entre hétérosexualité et homosexualité. Sa fascination à l’égard de Stringberg auquel il empruntera les thèmes de la tyrannie mortifère du passé, le poids des tares familiales cachées, la duplicité de la morale familiale et celui de la nécessité de faire tomber les masques afin que surgisse dans un dévoilement tragique la vérité des êtres, ira jusqu’à l’ attribution, dans un de ses derniers textes du prénom le l’auteur suédois à son alter ego de fiction et dramaturgique. Mais bien avant cela il s’inspirera de Mademoiselle Julie pour camper le personnage de Blanche dans « Un tramway nommé désir ». Il s’agit bien sûr de Tenessee Williams. Michèle Césaire avec « Julie dans le Tramway » déroule donc avec bonheur le libre fil de ses associations programmatiques.

Ce fameux « Tramaway nommé désir est avant tout celui qui mène Blanche chez sa sœur Stella qui vit une relation intense dans un deux pièces un peu minable avec Stanley, un ouvrier d’origine polonaise totalement désargenté. Blanche dit à Stella le mépris si ce n’est le dégoût qu’elle ressent devant des conditions d’existence qu’elle dit découvrir et bien éloignées de celles de leur enfance. Pourtant, bien vite il apparaît que Blanche n’est pas ce qu’elle croît vouloir montrer. Blanche est un être blessé qui se réfugie dans l’imagination et des duperies sans méchanceté réelle, incapable qu’elle est d’affronter la réalité. Par sa fuite dans la dé-réalité elle se constitue, de façon illusoire un espace de protection contre les expériences tragiques qu’elle a traversées. Elle tentera d’embarquer Stella la sœur naïve et influençable mais d’une infinie douceur attachante dans cette dérive. Le système de défense est bien frêle et il ne résistera pas aux assauts de Stanley qui apparaît comme la figure de la virilité brute, non raffinée alliée à une amoralité qui le conduira à faire interner Blanche après l’avoir violée en l’absence de sa femme immobilisée dans une maternité. Prédateur sans aucune pitié, seul compte pour lui l’accomplissement de son désir même au prix d’un pur ravalement de l’autre au rang d’objet. Le Désir est donc le thème central de la pièce, affirmé, clamé, exhibé, imposé par Stanley, nié, refoulé, dénié enfoui chez Blanche puisqu’il l’a conduit à être chassée de la ville où elle enseignait. Dans sa recherche d’un protecteur elle rencontrera Mitch personnage falot, trop lié à sa mère pour assumer une relation avec une femme.

On le voit Tenessee Williams ne fait pas dans la dentelle. Les personnages sont construits sur un mode bipolaire. La violence de Stanley et la douceur de Stella, la lâcheté casanière de Mitch et l’extravagance de Blanche, la violence primitive du désir de Stanley et le refoulement des envies de Blanche, basculent du côté de la caricature. Comportements outranciers autour du sexe, de la violence de la mort de la folie et de l’alcool!

Comme le disait une spectatrice à la sortie du théâtre : « En 2007 le régime de croyance au théâtre ( Ce qui porte spontanément à tenir ce qu’on nous montre et ce dont on nous parle comme vrai, sans même qu’on se pose la question de l’adéquation des signes et de leurs référents.) n’est plus tout à fait le même qu’en 1950 ! ». A quoi il est possible d’ajouter que les formes du théâtre de Tennessee sont on ne peut plus conventionnelles voire même un peu dépassées au regard des expérimentations théâtrales de ces soixante dernières années. Le behaviorisme mâtiné de freudisme étatsunien dans lequel semble englué l’écriture de Williams est un peu lourd à digérer. Les pathologies empruntent aux formes sociales dominantes leur mode d’expression. Ainsi les grandes hystériques du 19eme siècle ont quasiment disparu, de même que les coupeurs de nattes qui officiaient encore au début du 2Oeme siècle notamment sur les grands boulevards parisiens. Les modes d’expression de la perversion se sont modifiés, empruntant aujourd’hui au monde des affaires, au monde du travail des voies de réalisation certes nouvelles mais aux effets bien réels et autrement dévastateurs. ». Le tramway nommé désir a vieilli et mal vieilli.

La mise en scène proposée est celle d’Elsa Royer que les parisiens ont pu voir il y a un an au Théâtre Mouffetard. Elle évite le piège du jeu trop typé de l’Actor’s Studio développé par Elia Kazan. Mais voilà c’est là que réside la difficulté car le « Tramway » est né, a été façonné, a été porté, que ce soit sur scène ou sous la forme d’un film on ne peut plus célèbre, par le « Studio » avec un style de jeu, des parti-pris de mise-en-scène, qui ont fait florès depuis les années cinquante du siècle dernier. Les acteurs étatsuniens les plus célèbres sont passés à la moulinette de  La Méthode (Stanislavski). Les personnages sont moins interprétés que vécus, il faut mobiliser le « subconcient » (sic), l’histoire personnelle des comédiens etc. Comment jouer, aujourd’hui, un théâtre qui  tient la plus grande part de son succès  à un style de jeu qui certes à fait école, qui passe encore au cinéma parce qu’au cinéma on ne joue pas, mais qui semble un peu suranné sur les planches?

Incontestablement la troupe semble avoir du métier et elle en a bien besoin pour se tirer d’affaire.

Gaëlle Billaut-Dano dans le rôle de Blanche s’efforce de mettre en avant la fragilité du personnage dans une retenue volontaire de son jeu espérant par cet artifice libérer un espace dans lequel le spectateur s’engouffrerait pour reconnaître une humanité d’autant plus sensible qu’elle aurait un rapport éloigné avec la folie. La distance est accentuée, soulignée, par l’utilisation en fond de scène de trois vélums plus ou moins transparents et derrière lesquels certaines scènes se jouent. Les dialogues arrivent alors assourdis avec une netteté et une limpidité amoindries. Le risque, pas toujours écarté, est celui de ne pas faire entrer le spectateur dans la pièce et de le laisser sur le bord du chemin ou de le voir décrocher du texte. Trop, ou trop peu de distanciation tue l’identification. Violaine Fumeau dans le rôle de Stella, incarne avec justesse le déchirement d’une femme prise entre ses attaches familiales et la passion charnelle qu’elle éprouve pour un homme. Alexandre Chacon incarne un Stanley mi-homme mi-singe et illustre avec un certain talent la banalité de la violence physique que les hommes peuvent exercer à l’égard des femmes entre propos de repentance et réitération d’avalanche de coups. Peut-être le seul élément de la pièce qui ,hélas n’ait pas vieilli. Nicky MARBOT dans le personnage falot et veule de Micht remplit son rôle.

Les lumières sont belles et la mise en scène en use encore et encore. Si l’on ajoute un environnement sonore sans fausse note on ne pourra que regretter le mauvais choix de texte pour faire valoir le métier de la troupe.
Roland Sabra

« UN TRAMWAY NOMME DESIR » De Tennessee WILLIAMS Théâtre de l’Orange Bleue Distribution :Mise en scène : Elsa ROYER Avec :Gaelle BILLAUT-DANNO Alexandre CHACON Violaine FUMEAU Nicky MARBOT Scénographie : Danièle ROZIER Création lumière : Jonathan DOUCHET Création sonore : Frédéric PEREZ Mise en espace/Construction : Virginie LINXE