Le temps des Tyrans

— par Ali Babar Kenjah —

Nous n’allons pas nous plaindre du retrait américain de Syrie. Mais il nous faut noter la méthode et ses invraisemblances, car elles sont riches d’enseignement. Il est, par exemple, significatif de noter la sidération du camp américain, face à la décision solitaire de son commandant en chef, sidération exprimée à travers la lettre de démission du ministre de la défense, le général J. Mattis. Il est tout aussi significatif de noter la satisfaction de V. Poutine et de ses alliés locaux. Un éditorial du Monde (26 déc.) commente : « C’est comme si Donald Trump avait pris sa décision seul, en fonction des intérêts de Moscou et d’Ankara, et sans rien négocier en échange. » A l’orée de la séquence qui s’annonce, les deux grands gagnants du nouveau statu quo sont la Turquie et l’Iran, nouveaux parrains de la région appelés à se partager les zones d’influence. Le régime d’Assad y gagne accessoirement sa survie, totalement zombifié sous la férule de Moscou et de Téhéran.

Le retrait unilatéral américain abandonne en rase campagne les troupes Kurdes, envoyées en première ligne combattre l’Etat Islamique. La cause kurde est livrée sans vergogne aux tanks et à l’aviation d’Erdogan, alors que de vingt à trente mille combattants de Daech sont encore en armes dans les confins irako-syriens. Une telle trahison ne laisse d’autre choix aux Kurdes que de s’allier à Israël, alliance qui ne fera que renforcer leur statut de parias internationaux (imposé par la Turquie) et leur instrumentalisation en troupes supplétives au service du jeu de dominos international. Après avoir offert à Israël sa nouvelle capitale tant convoitée, Trump, par son inexplicable décision, oblige l’Etat sioniste à s’impliquer en première ligne face au renforcement des mollahs iraniens dans la région. En s’appuyant – notamment – sur les Saoudiens et les monarchies pétrolières, dont Tsahal devient le véritable protecteur. Au risque (souhaité ?) d’un embrasement toujours plus incontrôlable du Proche-Orient.

Trump paie-t-il une dette à Poutine ? Est-il soumis au Kremlin par un chantage à la sextape, comme cela se murmure dans la complosphère ? Toujours est-il qu’un foyer de tension permanent dans cette partie du monde et en Afghanistan (également visé par une décision unilatérale de retrait US), permettra de justifier le nationalisme victimaire des WASP qui l’ont élu, le réarmement « protecteur » (et fructueux), les restrictions démocratiques et les futures interventions préventives (Venezuela, coming soon…)

Par ailleurs, le retrait unilatéral américain renvoie avec mépris les alliés Européens de l’Otan à leur vassalité subalterne. Ses récriminations quant à la fiabilité américaine n’y changeront rien, E. Macron est – tout autant que les Kurdes – largué en rase campagne syrienne, avec sa force de frappounette et son verbe plus haut que son chéquier. Arroseur de mort arrosé, il symbolise le double jeu hypocrite du camp des soi-disant « démocraties » qui, en punissant Saddam, Kadhafi & Co du haut de leurs arguments « moraux » dénués de fondements réels, ont ouvert la boîte de Pandore d’une instabilité chronique, propice à l’épanouissement des tyrannies.

Le fait que le président français passe Noël si loin de la crise sociale qui secoue la France, doit nous alerter sur l’importance de sa destination. En s’affichant au Tchad, auprès du tyran mercenaire I. Deby, E. Macron a tenu à réaffirmer la nature profondément impérialiste de la Vème République. La guerre permanente comme raison d’Etat (depuis, au moins, le Moyen Age), l’opération militaire comme habitus… Parfait continuateur de la françafrique, le nationalisme macronien emprunte aussi bien à Jules Ferry qu’à Jacques Foccart. Le message est double : 1) l’Armée est le rempart de la République, pas le peuple ; 2) la prospérité de la France reste adossée à sa colonialité et à sa nature guerrière… Ni le Japon ni l’Allemagne, ex puissances vaincues qui exportent bien plus que la France, n’invoquent la nécessité de protéger les intérêts de leurs capitalistes pour entretenir une ruineuse puissance d’intervention extérieure. A l’occasion de ses vœux de Noël, E. Macron a réaffirmé que la facture militaire des commandos expatriés était non négociable. Au prix prohibitif du surendettement de la France et du reniement d’engagements européens qu’on n’a pas hésité à imposer cruellement à la Grèce et à l’Italie?