Le temps de travail, symbole de la fracture idéologique à gauche

— Par Sandrine ROUSSEAU Economiste, porte-parole d’Europe Ecologie-les Verts (EE-LV) —

horlogeTRIBUNE

En quelques jours Manuel Valls et Emmanuel Macron se sont explicitement prononcés en faveur de nouveaux assouplissements de la régulation des temps de travail. Simplifier le recours au travail du dimanche, encourager les contournements des 35 heures, favoriser les dérogations aux nouvelles régulations des temps partiels, ces appels pour une plus grande «liberté du temps de travail» nous renvoient, en à peine plus nuancés, aux beaux jours du très sarkozyste «travailler plus pour gagner plus». Ces prises de positions, comme celles sur le contrôle des chômeurs, sont cependant en adéquation avec la direction politique choisie marquée par la «responsabilité» individuelle. Elles illustrent ainsi de manière emblématique les fractures idéologiques qui traversent la gauche.

Loin de n’être qu’une question de stratégie économique ou même de communication politique, ce sont de véritables choix de société qui se dessinent ici. Car cet engagement pour une plus grande «liberté du temps de travail» repose sur deux hypothèses fondamentales : non seulement, la croissance matérielle de la consommation, donc du pouvoir d’achat, a plus de sens que la croissance des temps libres mais, surtout, le contrat entre individus est supérieur aux «droits» sociaux.

En effet, les critiques sur les 35 heures, tout comme la volonté d’accroître les temps d’ouverture des magasins le dimanche, s’appuient sur une vision ouvertement productiviste : la croissance nécessite toujours plus de travail, plus de marchandisation des temps et des activités. Le bien-être ne passe que par une augmentation du pouvoir d’achat. Le projet de développer les temps libres, les temps de sociabilité, d’engagements associatifs, sportifs, culturels, familiaux sont délaissés au profit d’une opportunité de revenus salariaux supplémentaires.

De nombreux travaux ont pourtant montré le coût en termes de cohésion sociale que la dérégulation des temps de travail avait produit, hier aux Etats-Unis, aujourd’hui en Europe. En 2013, ce sont déjà plus d’un salarié sur quatre qui travaille au moins occasionnellement le dimanche (près d’un sur deux dans les services aux particuliers et le commerce). Entre 2003 et 2011, le temps de travail des salariés à temps plein a cru de plus de 60 heures par an (et 75 heures pour les femmes) ! C’est presque l’équivalent de deux semaines de congés qui ont disparu. A l’heure où le chômage est au plus haut, une relance du processus de réduction de l’emprise du travail sur la vie semble pourtant des plus urgentes. A une époque où la crise environnementale exige une réduction de nos pollutions, la recherche d’un mieux vivre apparaît prioritaire par rapport à une quête de nouveaux espaces marchands.

Parallèlement, cette vision s’inscrit dans une valorisation nette du contrat aux dépens d’une conception protectrice du droit du travail. Le «volontariat», l’accord majoritaire, le consentement sont invoqués pour justifier que les avantages sociaux soient remis en cause. Les conditions auraient-elles changé pour que la gauche modifie son discours ?

Bien au contraire, les progrès sociaux se sont construits sur l’idée qu’il fallait protéger les faibles en accordant des droits inconditionnels. Le temps de travail a été le symbole de ces victoires progressives : protection des mineurs puis des femmes et, enfin, de l’ensemble des salariés. Car le droit du travail n’est pas le droit civil : les individus ne sont nullement égaux dans l’entreprise, et la notion de droits collectifs est plus que jamais nécessaire. La possibilité de synchroniser les temps sociaux et familiaux, l’existence de coûts sociaux importants à des temps de travail individuels longs nécessitent toujours une régulation collective et justifient l’intervention des pouvoirs publics pour permettre une reprise de la réduction des temps travaillés. Affirmer la dimension collective des temps et l’importance des activités non marchandes est au contraire le socle sur lequel une gauche écologique et sociale doit se construire.
Sandrine ROUSSEAU Economiste, porte-parole d’Europe Ecologie-les Verts (EE-LV)