Le souffle du pays, Nabd El Jazirah, de Widad Amra

 — Par Roland Sabra —

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La terre et le temps

 Après Regards d’errance en 2007, Salam shalon, en 2008, voici le troisième recueil poétique de Widad Amra. Il s’intitule  Le souffle du pays, Nabd El Jazirah.  C’est le souffle de l’île.

 

Une cinquantaine de pages sur la terre et les temps.

 

Le temps de sa terre. En ses temps .

 

En ces temps de tremblements où jamais la terre ne ment, où l’humain clame et réclame, où la mort célèbre l’âme des grands. De l’enterrement du poète au tremblement de Février. Ou l’inverse. Peu importe : « Le temps n’est pas dans la chronologie, la chronologie n’est qu’humaine ».  Des soubresauts du sol à ce temps, qui va et vient, qui se cherche quand le temps n’est plus, quand la mort engloutit terre et temps. Mais que reste l’espoir.

 

Widad Amra construit son livre en quatre temps donc.

 

Premier temps. Celui du dernier tremblement de terre, ici en sa terre. Elle nous dit l’étonnement, l’effroi et la peur de redécouvrir ce qu’elle savait depuis toujours. La terre est vivante, elle bouge . La terre peut tuer: « J’étais à la botte de la terre, ce jour-là. A la botte de la vie. » La terre menace, la terre « réplique », interroge les humains sur le sort qu’on lui fait: «  A la table des comptes ! »

 

« Le temps deux  est le temps que le poète aurait aimé » . Quand la terre est en marche. La terre des foulées, la terre des revendications, le temps des espérances, le temps sans peur. Le temps de la vérité. « Nous avions oublié le pays. Oublié les tremblements souterrainement fiévreux de l’île ». En ce temps deux, la narratrice pose la question du demain. De la jeunesse et du chômage. Le temps deux est celui « De la question à soi. » De la question en haut. La rue interroge, clame, balance: « Précarité – Du travail ! – Oui, à la fraternité et à la dignité. » Mais le souffle s’épuise aux abords de la possession : « Je vis les caddies se remplir dans l’excès d’abondance quand nous étions où on en est ». Survient la déception, le temps de la douleur dans la peur des peaux toutes couleurs, ou des peaux  sans couleur. De la peur qui éventre la terre. Celle de l’autre.  » Entendre la peau de l’autre dépecée sur les marchés de [son] enfance. » La narratrice d’ajouter :«  L’île était loin de cela ! L’île chômait. L’île chôme ». Et le récit de recentrer la question en dehors d’échappées verbales. Sur la précarité et le travail. La cherté. Que sera demain ?

 

Le temps trois est celui du repos. Dans la terre. De ce temps immobile, sans temps. Le temps de la vie. « La boulimie me dit : Vis ta vie pendant qu’il en est temps ».

 

Se poursuit alors une quête dans la découverte perpétuelle de l’île, où l’extase et la joie calment un temps la peur et les questions. Tremblement sans apocalypse ! Le cri fut rauque. Celui de la terre et des hommes. Mais reste la vie. L’espoir. Le rire se nourrit alors de la nature et de ses frasques. De sa clémence. Le rire s’amplifie de la leçon apprise, de la danse sur le sol cotonneux, de la danse sur la terre ferme : « Je me mis à danser en envolées de reins. En tremblements de moi. ». La joie vient chaque jour, rescapée de la tristesse.

 

La narratrice poursuit alors la route : « Mes pieds sont la rivière de tous les jours à califourchon de la vie ». La marche est l’ancrage. Dans le souffle du pays.

 

« De la terre de l’ile
Du ventre de la mère
Du désert d’Orient
De la semence du père ».

 

Martiniquaise mais d’un Père palestinien  dont on a pris la terre, Widad Amra marque la terre de sa dernière terre. La terre de l’île : « Le soleil et la pluie me donnèrent la force d’avancer ».

 

Vient alors le temps quatre. Celui de la mise en terre d’un père en poésie.

 

« La terre s’était ouverte offrant le lit du dernier jour
Au poète de l’ile. »
« Oui le poète est mort et la terre a tremblé.
La foule priait  pour le poète
Ya Allah ! Ya Allah ! Allah Maak »

 

La mort du poète pose alors la question du rôle de la poésie, de la liberté et de la transcendance : « Qu’est donc le poète sinon le fou du monde et non celui des rois ? ». Au –delà de l’homme reste le souffle. « La poésie est immortelle Et non pas les poètes« 

 

Ce récit poétique offre aux lecteurs un voyage intérieur, où sur fond du pays, émergent en un rythme balancé, saccadé, parfois s’étirant, les pulsations de l’île : séisme et peur, acceptation et renoncement, société et secousses ; terre – écologie. Identité. Tremblements de l’humanité – Altérité – Force – Fragilité. Résilience.

 

L’efficacité se trouve dans la sincérité de la plume. Dans l’engagement qu’offre ce livre quant au pays – Martinique. Dans cet amour revendiqué. Sincère et cru. Dans la lucidité et dans l’espoir du devenir.

 

« Malgré nos blessures, nos ratés, nos échecs, nous sommes. Nous avançons en croyant que nous stagnons. Nous sommes futur. Rencontre parfois hésitante mais rencontre. Veilleurs. Et nous ne le savons pas. Tous là, sur le bout de volcan, à écouter le souffle. »

 

Et la narratrice de poursuivre : « Que nous viennent les éclats du rire tonitruant »

 

L’écriture est à l’image de la poétesse, claire, limpide, libre, et chaleureuse. Si les livres de poésie sont peut-être les seuls que l’on puisse lire et relire sans fin, c’est sans doute parce qu’ils demeurent  des espaces de liberté. Ce que confirme avec force et tendresse « Le souffle du pays, Nabd El Jazirah de Widad Amra.

 

 

 Roland Sabra Madinin’Art,  le 28/01/11