« Le Songe d’une autre nuit », un théâtre multiculturel

Par Selim Lander

songe_d_une_autre_nuitAdapté du Songe d’une nuit d’été, sans doute la pièce la plus souvent jouée de Shakespeare, ce Songe-là, qui nous vient de Guyane dans une mise en scène de Jacques Martial, a la particularité de confier la partie du peuple de la nuit à des élèves comédiens d’une école de Saint-Laurent-du-Maroni qui s’expriment en saramaka surtitré en français. Les nobles Athéniens et  Bottom (Pyrame) sont joués par des élèves ou anciens élèves de l’École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre (ENSATT, Lyon). On voit tout de suite l’intérêt qu’aurait pu présenter un tel choix dramaturgique : poser d’emblée l’irréductible étrangeté du peuple de la nuit par rapport aux Athéniens. Malheureusement le message est brouillé dans la mesure où les mêmes Guyanais mobilisés pour jouer les elfes interprètent, avec le renfort de leur camarade de l’ENSATT, le petit peuple d’Athènes qui donnera la tragédie de Pyrame le jour du mariage des deux couples aristocratiques (Hermia et Lysandre, Helena et Demetrius)⋅Certes, ils s’expriment alors en français mais le spectacle ne perd pas moins de sa magie⋅

Un grand tronc posé sur le plateau nu est le seul élément fixe du décor⋅ Quelques accessoires portant la marque de l’artisanat guyanais (le lit de Titania, la reine des elfes, en pandanus tressé, des tabourets, un mur de branchage pour la tragédie) et les fleurs qui recèlent les charmes d’Obéron complètent le dispositif.

Le spectacle laisse une impression mitigée. On éprouve toujours du plaisir, bien sûr, à écouter les alexandrins d’un texte souvent très drôle. Cela étant la représentation manque souvent de vivacité, la féérie, on l’a dit, n’est pas au rendez-vous. On s’ennuie un peu, et sans doute cela est-il dû principalement aux comédiens qui s’évertuent mais n’emportent pas toujours la conviction. Ne s’attaque pas qui veut à une telle pièce inscrite au répertoire de tant de troupes plus aguerries. Bien sûr, quelques individualités sortent du lot : Kimmy Amienba, tout d’abord, incarne un Puck qui ne manque nullement, pour sa part, de vivacité ; elle nous convainc absolument par sa légèreté, sa démarche dansante, sa drôlerie. Serge Abatucci qui dirige la compagnie guyanaise KS and Co est, quant à lui, un comédien confirmé, et il le… confirme dans le rôle d’Obéron. Les deux « lyonnaises », Magali Solignat et Sophie Engel, défendent bien leurs personnages respectifs d’Hermia et Helena, la première surtout qui se tient sans faillir sur la ligne étroite entre la tendresse et la sensualité. Mais la troupe compte treize comédiens, ce qui laisse encore beaucoup de travail en perspective.

Au CMAC de Fort-de-France le 21 novembre 2014.