Le retour de la « race » par (et dans) le football

— Par Lilian Thuram —

Dans une tribune parue sur Mediapart, l’ancien international, Lilian Thuram et les historiens, Pascal Blanchard et Yvan Gastaut reviennent sur l’affaire du fichage ethnique organisé par le PSG depuis 2013. Ils insistent sur la leçon à en tirer : « Nous devons intégrer une chose simple, la couleur et les origines d’une personne ne déterminent en rien les qualités et les défauts de cette personne. Mais il reste du travail à faire pour faire partager ce principe, dans le football et dans la société. » Leur prise de position fait écho à l’exposition Des Noirs dans les Bleus, conçue par le Groupe de recherche Achac ainsi qu’à la récente interview de Lilian Thuram pour L’Équipe.

N’en doutons plus : l’affaire du fichage ethnique organisé par des recruteurs du Paris Saint-Germain révélée par le dossier du Football Leaks de Mediapart confirme que la « race » n’a pas disparu. Et que le monde du football, sport pourtant si brassé, si mélangé, si métissé est une nouvelle fois une incroyable caisse de résonances des contradictions liées aux questions d’ethnicité dans notre pays.

Alors qu’en juillet dernier, nous nous sommes félicités du silence en France sur les références en matière d’origine des joueurs vainqueurs de la Coupe du monde en Russie, la dimension raciale revient de façon honteuse cet automne. Et pas sur n’importe quel sujet : sélectionner des enfants selon leur origine pour « avantager les enfants blancs » au sein du plus prestigieux des clubs français.

Cela ne nous surprend pas : l’affaire dite des « quotas » avait déjà ébranlé le monde du football sur le thème de la « race » — une affaire déjà lancée par Mediapart en 2011. Lors d’une réunion (captée à l’insu de ses participants) à la Fédération Française de Football, en novembre 2010, le Directeur Technique National François Blaquart se déclarait « tout à fait favorable » à favoriser les Français « sans origine », notamment en raison du risque que les enfants d’origine africaine ne choisissent de jouer ensuite pour l’équipe nationale du pays d’origine de leur famille.

Le principe des quotas est donc dans l’air du temps depuis de nombreuses années. Il est révélateur d’une problématique bien plus profonde et la « prédominance blanche ». Les affaires se suivent et se ressemblent, toujours dans le même sens, toujours reflet d’un certain regard sur la France actuelle et sur une grille de lecture racialiste. À chaque fois, il n’y a jamais de responsable dès qu’il s’agit d’une affaire de racisme dans le sport. On passe son chemin, comme pour ces jeunes joueurs « noirs » le 6 mai dernier, lors d’un match amateur entre Mackenheim et Benfeld, qui ont subi insultes et violences racistes.

Une longue histoire…

Depuis les déclarations du président du Front national, parti d’extrême droite, en 1996 lors de l’Euro en Angleterre fustigeant la présence de trop de joueurs d’origine immigrée qui ne représentent pas véritablement la France, il n’est pas rare d’entendre dans les conversations de comptoir comme dans les milieux du football professionnel les sempiternels sarcasmes sur le fait que les « Blacks » sont si nombreux dans le Onze tricolore que bientôt les « Blancs » en seraient exclus ; ou que les « musulmans » (ce qui à chaque fois veut dire les Arabes) ne doivent pas être trop nombreux sous peine d’une désagrégation de l’équipe… À chaque fois, la même petite musique que nous avions déjà signalée tous les trois dans plusieurs ouvrages, conférences, tribunes ou dans le film documentaire « Les Bleus, une autre histoire de France » (Netflix).

Quel paradoxe ! La même France qui s’est exaltée pour le « Black Blanc Beur » de 1998 est hantée par le spectre d’une France qui ne serait plus blanche ou par le débordement musulman…

Cette nouvelle affaire liée au recrutement du PSG ne vient donc qu’attester des pratiques qui, bien que cachées car condamnables, ont bien cours dans le monde du football qu’il soit professionnel ou amateur. Ces pratiques ont un nom : le clivage racial, avec un arrière fond nauséabond d’apartheid. Mais aussi la peur d’être envahi, d’une « colonisation » inversée osent même dire certains.

Laissons-là les auteurs de ces pratiques — c’est désormais une affaire de justice (la Licra a annoncé qu’elle allait saisir la justice [depuis la Licra et la LDH ont déposé plainte auprès du procureur]), une procédure en interne du club, et une décision attendue du politique que devra prendre la ministre des Sports — et interrogeons-nous plutôt sur le profond système de représentation qui les pousse à réaliser tout un système élaboré de fiches dans lesquelles sont mentionnées des catégories ethniques fondées sur des profils de joueurs comme « Français », « Maghrébin », « Africain » ou « Antillais » (on découvre même, à la lecture des derniers articles, que pour les recruteurs du PSG en Île-de-France avaient les mêmes pratiques ajoutant « MS » pour métis et « AS » pour Asiatiques).

Ce tri ethno-racial — qui existe d’ailleurs ouvertement en Grande-Bretagne — en dit long sur…

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