Le Passé, un film de Asghar Farhadi

 A Madiana

— Par Guy Baudon—

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 Aéroport de Paris. Un voyageur (Ahmad) avance dans un couloir… Séparée par la vitre du hall d’arrivée, une jeune femme (Marie) lui fait signe. Il la voit, s’approche de la vitre ; ils tentent d’échanger quelques paroles inaudibles. La vitre transparente fait écran. L’écran, la toile de cinéma, sera le lieu des visibilités sur lequel va s’inscrire pendant plus de deux heures, la difficulté de s’entendre, de communiquer, d’aimer. Le sujet du film, peut-être.

 Dans la séquence suivante les deux personnages quittent l’aéroport en courant sous des trombes d’eau et s’engouffrent dans une voiture. Marie est au volant. En reculant, aveuglée par la pluie, elle semble heurter une autre voiture. Plans sur leurs deux visages consternés, tournés vers l’arrière. Le contrechamp nous montre le pare brise arrière embué,  sur lequel est inscrit le titre du film « Le passé ». Le passé apparaît comme présent « dans le dos » des personnages, comme hors-champ (1) qui annonce la complexité des personnages (2) et met en œuvre l’imagination du spectateur. Le titre va progressivement disparaître sous les coups d’essuie glace. Un film pour tenter de gommer le passé appréhendé à la suite d’un choc ? Peut-être l’enjeu du film.

Ce choc, le vrai,  qui lance le récit est provoqué par l’arrivée d’Ahmad en provenance de Téhéran. Il a vécu avec Marie dont il s’est séparé il y a quatre ans. Il revient en France pour régler les formalités du  divorce. Elle devait lui réserver un hôtel, mais elle ne l’a pas fait. Elle dit lui avoir envoyé un mail qu’il n’a, dit-il, jamais reçu. Qui croire ? Il sera donc hébergé dans la maison où il a vécu avec elle. Marie vit avec un nouveau compagnon, Samir, et 3 enfants : deux filles dont Lucie, adolescente, qu’Ahmad a élevées, mais dont il n’est pas le père. Un petit garçon, fils de Samir dont la  femme, Céline, est dans le coma, suite à une dépression.

Ahmad fait penser au personnage de Théorème de Pasolini. Le film commence avec son arrivée et se terminera avec son départ. Sa présence va provoquer une série de révélations, de dits et de non dits, de silence, d’agressions, de cris et souffrances. A la différence du personnage de Pasolini Ahmad est directement impliqué dans ces histoires, à la fois membre de cette famille, témoin, victime et acteur. Sa présence sert de révélateur, on pourrait même dire de détonateur. Chaque personnage va être confronté à la vérité, la sienne et celle des autres : pourquoi Ahmad et Marie se sont-ils quittés ? Qui est Samir ? Marie et Samir s’aiment-t-ils vraiment ? Pourquoi Lucie ne le supporte pas ? Quelle est la cause de la dépression de Céline ? De ce point de vue, le réalisateur est un formidable scénariste : il manie avec brio le jeu avec la vérité, le suspens et les surprises, les retournement de situations, la progression du récit qui balade le spectateur au point qu’il ne sait qui croire,  pris dans le jeu aliénant des personnages. Le passé est aussi un film policier.

Comme le disait Jean Renoir dans la Règle du jeu, « ce qui est triste, c’est que chacun a ses raisons ». Chaque personnage ici est  à la fois crédible et suspect. Il n’y a pas les bons d’un côté et les méchants de l’autre. Il n’y a ni héros, ni salauds,  ni vainqueurs ni vaincus dans cette histoire. Les personnages sont traités à égalité et pour eux-mêmes, chacun devenant à tour de rôle le personnage principal du film. Chacun est avec ses manques, ses contradictions, ses aveuglements, ses doutes, ses silences, ses larmes, ses cris… Si bien que la vraie violence contenue dans le film n’est pas entre les personnages mais à l’intérieur de chacun d’eux. Leurs propos, leurs paroles,  loin de les libérer et de leur permettre d’y voir un peu clair, les enferment, les broient, les font souffrir. Le langage, les mots qui devraient permettre de se comprendre sont source de tous les malentendus, de déchirements, de violences. On pense bien sûr à Bergman dans  Scènes de la vie conjugale, qui  fait dire à Johan, le mari : « Nous sommes des analphabètes du sentiment ».  C’est quoi, se parler ?

Lire la suite sur Mediapart le14 juin 2013

http://blogs.mediapart.fr/blog/guy-baudon/140613/le-passe-un-film-de-asghar-farhadi

Drame Réalisé par
Asghar Farhadi

Avec :  Bérénice Bejo Rôle : Marie
Tahar Rahim Rôle : Samir
Ali Mosaffa Rôle : Ahmad
Pauline Burlet Rôle : Lucie
Elyes Aguis Rôle : Fouad
Jeanne Jestin Rôle : Léa
Sabrina Ouazani Rôle : Naïma
Babak Karimi Rôle : Shahryar