« Le Monstre » piégé dans sa « monstration »

— Par Roland Sabra —

J’attendais beaucoup du travail de Guillaume Malasné sur le texte d’Agota Kristof. Dans ces mises en scènes précédentes qu’il s’agisse des deux Pommerat, La réunification des deux Corées  et  Cet Enfant  ou de la pièce « Festen » de Thomas Vinterberg il a toujours eu le souci d’être au plus près de l’auteur ou du texte. Et à mille lieues de tout esprit servile il sait rendre hommage à un dramaturge avec une sensibilité, la sienne, toujours un peu décalée mais sincère et authentique.

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La lecture qu’il fait du « Monstre », ou du moins ce qui en est restituée sur scène, ne s’inscrit pas dans cette ligne. L’écriture de la dramaturge helvético-hongroise est une écriture minimaliste bannissant toute fioriture. Elle disait réécrire sans cesse ses phrases, pour les vider de toute description inutile, pour assembler les mots au plus juste dans une épure propre à un théâtre qui doit juste permettre de poser face à un nom un texte bref. Son style —elle détestait ce mot— relève d’une éthique celle de la recherche de l’objectivité la plus proche des faits. Elle se méfie au plus haut point des sentiments. Elle écrit : « « Les mots qui définissent les sentiments sont très vagues ; il vaut mieux éviter leur emploi et s’en tenir à la description des objets, des êtres humains et de soi-même, c’est-à-dire à la description fidèle des faits » La phrase est fragmentée, fulgurante dans sa simplicité. Une écriture en creux qui laisse à deviner bien plus qu’elle ne dit. Les dialogues sont réduits à l’essentiel, dans la nudité de la syntaxe, sans adverbes ni adjectifs. La plus longue réplique dans ‘Le Monstre doit faire à peine plus de cinq lignes.

Tout cela Guillaume Malasné le sait bien mieux que moi. Il fréquente l’œuvre depuis plus longtemps. Mais voilà ce qu’il a réussi avec des comédiens amateurs il échoue à le réaliser avec des « semi-professionnels » qui ont voulu « jouer » le texte et qui l’ont surjoué, qui ont voulu s’en emparer et qui l’ont détourné. dans une inadéquation totale, voire une trahison si ce n’est du texte tout au moins de son esprit. Nulle distance, nul effacement, comédiennes et comédiens ont des ego, et ils le font savoir. La démonstration tourne à la monstration. La diction se complaît de façon récurrente dans l’accentuation de la première syllabe de chaque mot. Ils veulent faire « vrai » et ils sont faux. Les mots sont appuyés, soulignés, surlignés de crainte que le public ne comprenne pas.

Les six tableaux sont entrecoupés de trois « inserts » qui s’ils sont l’occasion d’une belle démonstration technique de lumières n’apportent rien à la thématique de la pièce en dehors de cette désagréable impression de rallonger la durée d’ un spectacle qui en ayant choisi de verser dans l’excès se trouve dépourvu d’idées pour assurer  la subtile articulation des scènes conçue par Agota Kristof. Ce recours aux inserts est l’illustration de l’incapacité de la mise en scène de suggérer autrement la notion de la longueur du temps qui passe et qui s’écoule entre les tableaux. En témoigne l’éviction du dernier geste de Nob qui pousse le chef du village, l’ Homme Vénérable, prend sa place et dit (avec une voix de vieillard) : Cela s’est passé ici ou ailleurs. Quelque part. Une fois . Aujourd’hui hier ou demain.

Peut-être Guillaume Malasné a-t-il manqué de poigne face à ses comédiens pour leur imposer la distanciation nécessaire comme marque de respect vis-vis du texte et de l’auteur? Je ne lui tiens pas rigueur de ce qui me semble un faux pas. Cet homme est capable de rebondir.

Fort-de-France, le 07/12/2017

R.S.

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Le monstre d’Agota Kristof

Adaptation et mise en scène Guillaume Malasné

Avec :
Marc-Julien Louka
Eric Delor
Steffy Glissant
Caroline Savard
Virgil Venance
Marc-Olivier René Lumière
Sylviane Gody Costumes
David Gumbs Vidéo
Ludovic Laure Univers sonore
Estelle Butin Masques

Production : L’Autre Bord Compagnie, Tropiques Atrium
Co-Production : Le Petit théâtre de Redoute
Avec la participation artistique du Studio d’Asnière-ESCA
​Avec les soutiens : DAC Martinique, Collectivité Territoriale de la Martinique

Billetterie : 0596 70 79 29 / 0596 60 78 78
mardi/vendredi 9h-19h et samedi 9h-13h