Le livret de famille, c’est fini

Par Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste

–Il est impossible d’installer les bouleversements liés aux nouvelles méthodes de procréation médicalement assistée (PMA) à l’intérieur de l’ancienne organisation familiale, dont le cadre législatif avait été conçu pour donner aux enfants nés en son sein un père cumulant les fonctions de géniteur présumé, d’éducateur privilégié et de donneur de nom.

Vouloir fabriquer des livrets de famille en faisant apparaître un « parent 1 » et un « parent 2 » paraît dérisoire au regard des enjeux, notamment du fait de l’augmentation d’enfants nés par PMA, par dons de spermes, d’ovocytes et, de plus en plus, d’embryons.

LA LEVÉE DE L’ANONYMAT DES DONNEURS

Rappelons donc d’abord un préalable : toute réforme de la parentalité commence par la levée de l’anonymat des donneurs. Il est heureux de constater que les adversaires traditionnellement les plus résolus de cette levée y arrivent petit à petit, face aux dangers potentiels que pourrait représenter le fait que deux femmes ou deux hommes élèvent un enfant dans le déni de la place de l’homme ou de la femme qui aurait pris une part à sa conception.

La signification principale de l’ancien mariage était de fonder une présomption de paternité de l’époux. Il en a résulté un objet bien connu, le livret de famille. Il est bien évident que, avec les nouvelles méthodes de procréation, ce document ne peut pas subsister tel quel. Et c’est là que l’idée de séparer mariage et filiation apparaît très intéressante, au point de pouvoir conduire, à terme, à remplacer le traditionnel livret de famille par deux documents complémentaires.

Le premier serait le livret de mariage, qui permettrait d’officialiser dans un cadre légal le mariage de deux humains de même sexe ou de sexes différents, qu’ils aient, ou non, le projet d’avoir ensemble des enfants. Ce livret de mariage pourrait-il, un jour, être ouvert à des créatures virtuelles ? Au Japon, un citoyen a demandé à pouvoir épouser une créature de manga, ce qui lui a été refusé… Mais un sondage a montré que sa proposition était approuvée par une majorité de Japonais !

Bien que nous n’ayons aucune idée de ce que chacun vivra bientôt avec son robot de compagnie, la nécessité d’un consentement éclairé rendra toutefois impossible l’élargissement d’un tel contrat !

LES TROIS FILIATIONS

Par ailleurs, chaque enfant bénéficierait d’un livret de filiation indiquant les trois filiations qu’il est aujourd’hui indispensable de distinguer. La première est la filiation génétique fondée sur l’origine des gamètes dont il est issu. Ainsi serait clairement précisée l’identité du géniteur et l’identité de la génitrice, sans que cela implique de leur part aucune forme de contrainte éducative que ce soit.

Cette reconnaissance ouvrirait la porte à l’instauration d’une connaissance par chacun de ses données génétiques et, si cela est possible, par un contact avec les parents donneurs de gamètes, d’une connaissance de leur généalogie.

De cette manière, deux parents de même sexe ne risqueraient pas de susciter chez leur enfant une dénégation des rôles spécifiques et indispensables que prennent encore un homme et une femme dans sa conception.

Une deuxième rubrique de ce livret de filiation serait consacrée au(x) parent(s) qui ont donné son nom à l’enfant. Il est en effet tout à fait possible qu’un parent, aujourd’hui « père » ou « mère », donne son nom à un enfant sans pour autant l’avoir conçu ou sans l’élever.

C’est évidemment le cas des enfants reconnus à leur naissance par leur géniteur, mais qui se trouvent ensuite élevés, du fait d’une brouille entre les parents, par une autre personne.

L’ÉDUCATION DE L’ENFANT

Enfin, ce livret de filiation comporterait la mention de la filiation éducative, c’est-à-dire l’identité de ceux, hommes et/ou femmes, dont le rôle est reconnu dans l’éducation de l’enfant.

Il faudrait alors laisser la porte ouverte à diverses personnes pouvant intervenir à un degré ou à un autre : ce n’est pas pour rien que de nombreuses cultures ont instauré, à côté des parents, l’existence des parrains. Les grands-parents peuvent également avoir un rôle éducatif reconnu avec les droits et les devoirs qui leur sont afférents, notamment lorsque certains parents sont défaillants, disparus ou décédés.

Une telle distinction permettrait que le mariage pour tous n’engage que le consentement éclairé des deux humains qui le sollicitent, quel que soit leur sexe, sans rien engager d’un acte de filiation qui en aurait été radicalement séparé. Et tous les enfants seraient égaux par le droit qui leur serait reconnu d’être informé des trois formes de filiation qui concourent ensemble à leur existence à la fois physique, psychique et sociale.