Le livre fait une rentrée de qualité sur fond de crise

— Par Alain Nicolas —

livres_rentreeLa nouvelle ministre de la Culture aura fort à faire pour rassurer une profession inquiète d’une baisse durable de ses ressources et de
la puissance des géants du Net. Fleur Pellerin, connue pour leur être très favorable, saura-t-elle défendre un secteur innovant mais fragile ?

Qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en agace, le phénomène « rentrée littéraire » existe, et n’est pas seulement un effet de perspective. Bien entendu, six cents romans publiés entre mi-août et mi-novembre, c’est un rythme mensuel à peine supérieur à la moyenne de l’année⋅ Et la « rentrée de janvier » déverse sur les tables des libraires presque autant de titres⋅ Mais, course aux prix exige, la médiatisation à outrance crée l’« événement rentrée » autant qu’elle en rend compte⋅ Le bon côté de la chose, c’est que cette période de l’année est celle où l’on parle le plus de littérature. Le mauvais côté du bon côté, c’est qu’on en parle peu des conditions qui permettent une telle abondance. Et moins encore des risques que court la « bibliodiversité », comme disait une ministre de la Culture récemment disparue. Pourtant, le bulletin de santé de ce fleuron de l’« exception française » est alarmant, et le contexte politique peu fait pour rassurer ceux qui, légitimement, s’inquiètent. Tous les clignotants de la chaîne du livre sont dans le rouge. Les chiffres de juin, qui viennent d’être publiés par Livres Hebdo, la référence professionnelle, font apparaître un recul des ventes de 6,5 % par rapport à 2013, lui-même en recul de 3 % sur 2012. Même si des « effets calendriers » expliquent en partie cette baisse, le bilan est net, les gens achètent de moins en moins de livres, et aucun des réseaux n’échappe à cette tendance, le numérique, qui tirait jusqu’ici son épingle du jeu, pas plus que les autres.
Au banc des accusés, 
la baisse du pouvoir d’achat,

Pour les experts, inutile de chercher midi à quatorze heures, le livre n’est que la pointe avancée du grand mouvement de « contraction du commerce de détail ». Au banc des accusés, la baisse du pouvoir d’achat, qui atteint de plein fouet, plus tôt et plus gravement que les autres, les dépenses de loisirs, culture et tourisme. Une tendance générale, lourde, fruit d’une politique encore une fois martelée comme « sans alternative ». La crise générale ne fait qu’aggraver la situation d’un secteur qui a ses fragilités propres. Le jeu de Monopoly des grands groupes éditoriaux conduit les acteurs les plus importants à des recompositions de capital générant de l’endettement, et les « synergies » espérées ne sont que l’autre nom de la réduction des effectifs. Éditorialement, le résultat est une politique frileuse de refus du risque, suppression de collections, diminution des premiers romans. Les difficultés de la librairie sont bien connues, et les plans d’aide mis en place sous le ministère d’Aurélie Filippetti ne suffisent déjà plus. La faillite du réseau Chapitre, au premier semestre, a montré le risque réel que des régions entières se trouvent partagées entre des grandes surfaces et vendeurs en ligne. C’est bien dans ce domaine que se situe un des plus graves dangers. On le voyait venir depuis longtemps, mais pas si vite. Il a nom Amazon. Le groupe de Jeff Bezos s’était illustré par ses pratiques sociales douteuses et sa recherche forcenée de l’optimisation fiscale. Il ne paie pratiquement aucun impôt (3,3 millions) en France où, a-t-il avoué devant le Parlement britannique, il a réalisé un chiffre d’affaires 2011 de 889 millions d’euros au lieu des 110 déclarés. Récemment, à la suite d’un différend sur les taux de remise, il a appliqué aux USA des mesures discriminatoires contre les livres du groupe Hachette (ralentissement des livraisons, exclusion des « recommandations » en ligne) qui ont déclenché des pétitions massives. Le mouvement s’est étendu en Allemagne où le groupe Bonnier était victime des mêmes mesures. Jusque-là dangereux concurrent des libraires, il menace directement la liberté d’éditer. Quel sens peut avoir, dans ce contexte, la nomination de Fleur Pellerin à la culture ? Connue pour un discours très entrepreneurial, elle va devoir assumer une politique d’austérité budgétaire qui menace des pans entiers de la culture, cinéma, spectacle vivant, patrimoine et livre. Elle arrive précédée d’une réputation de cheval de Troie des grands acteurs de l’Internet. Récemment, elle avait fait le voyage de Las Vegas pour convaincre le patron de Netflix de localiser son siège en France, sans grand succès, puisque le géant de la diffusion en ligne s’installe aux Pays-Bas. Sera-t-elle la ministre de Netflix ou celle des cinéastes ? Sera-t-elle la ministre de Google ou celle des bibliothèques ? Sera-t-elle la ministre d’Amazon ou celle des écrivains, éditeurs et libraires ? Sans préjuger de son action, on comprend que son arrivée soit saluée avec une prudente politesse.

Une timide reprise Avec 607 romans, soit
404 romans en langue française et 203 romans étrangers, la rentrée littéraire reste légèrement en dessous du niveau de 2012 (426 titres), déjà le plus bas de la décennie. Une amorce de reprise qui n’exclut pas la prudence : 74 premiers romans, moins qu’en 2012 (86), loin du record de 2007 (102).Frilosité ou souci de la qualité ? Aux lecteurs de trancher.

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