Le jazz français discrimine-t-il les musiciens antillais ?

— Par Eric Delhaye —

Franck Nicolas entame sa grève de la faim. Photo Serge Monroc

En situation financière alarmante, le trompettiste Franck Nicolas a entamé une grève de la faim pour dénoncer la discrimination dont souffrent, selon lui, les musiciens d’origine antillaise. D’autres jazzmen de premier plan, comme Jacques Schwarz-Bart ou Magic Malik, témoignent des mêmes difficultés. Mardi 24 avril, le jazzman Franck Nicolas a publié sur Facebook une photo où il pose assis par terre, dans une rue, en tenant sa trompette comme on agrippe une bouée. Alors que son regard fixe le sol, une inscription le surplombe : « En grève de la faim. » Partagée en cascade sur les réseaux sociaux, l’image éclaire sur la détresse d’un musicien qui souffre de vivre péniblement de son art, alors que sa discographie compte une douzaine de références et qu’il enseigne la trompette depuis trente ans dans une école montpelliéraine.

Le Guadeloupéen est doublement abattu. Financièrement accablé par un redressement lié au renforcement des contrôles régissant son statut, il dénonce également la « discrimination » dont souffrent les musiciens antillais : « D’un côté, l’administration invalide mes cachets parce que je joue dans des restos, des troquets ou des fêtes privées. De l’autre côté, on me ferme la porte des festivals dans lesquels je pourrais légitimement jouer. C’est un cercle vicieux, et je me retrouve à la rue. Je ne suis plus un gamin, j’ai joué avec des tas de gens et je veux vivre de ma musique. J’ai créé un nouveau genre, en 2002, le jazz ka, qui introduit les tambours du gwoka guadeloupéen. Mais quand j’envoie un CD à un programmateur, on me rétorque que ce n’est pas du jazz. Les Antillais ne sont crédibles que dans des rôles d’amuseurs, comme Francky Vincent ou La Compagnie Créole. Mais la carte postale, y’en a marre. »

“Certains voudraient enfermer les Antillais dans une musique commerciale voire ‘doudouiste’,” Jacques Schwarz-Bart, musicien

Le jazz, dont la créolité est brillamment exposée dans le livre Ni noires ni blanches, de Bertrand Dicale (éd. La Rue musicale), formalisé au début du XXe siècle dans la capitale caribéenne qu’était La Nouvelle-Orléans, est-il en train de renier son rhizome ? Le malaise, que Franck Nicolas exprime de façon extrême, est confirmé par plusieurs condisciples. Le violoncelliste Vincent Ségal fut l’un des premiers à réagir sur la page du trompettiste, en écrivant que « les festivals de jazz en métropole ne soutiennent pas assez la créativité de Guadeloupe, de Martinique mais aussi de l’océan Indien (La Réunion) », alors même que les collectionneurs se précipitent aujourd’hui sur le moindre vinyle de jazz insulaire des années 1970…

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